70 ans après, la course au nucléaire se poursuit

 

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Ravitaillement en vol d'un F/A 18 Hornet de l'aviation américaine à capacité nucléaire, le 13 mars 2007 - AFP
Ravitaillement en vol d'un F/A 18 Hornet de l'aviation américaine à capacité nucléaire, le 13 mars 2007 - AFP

Par Dominique CHABROL

Ville martyre devenue la capitale mondiale du pacifisme, Hiroshima commémore tous les 6 août l'horreur nucléaire et exige l'élimination totale des armes atomiques. Mais 70 ans après la destruction de la ville, les opposants à la bombe n'ont guère de raisons d'espérer. L'apocalypse menace toujours la planète et rien ne semble devoir enrayer la prolifération.

Si le bombardement d'Hiroshima et Nagasaki a accéléré la fin du conflit le plus meurtrier de l'histoire, il marque aussi le début du bras de fer entre les Etats-Unis et l'URSS et de la course aux arsenaux nucléaires.

Quatre ans après Hiroshima, l'Union soviétique fait exploser sa première bombe A, le 29 août 1949. Washington qui pensait détenir le monopole nucléaire pour au moins dix ans, met alors au point un engin infiniment plus puissant, la bombe H, dont le premier essai a lieu le 1er novembre 1952. Mais la course est lancée et il faudra cette fois moins d'un an à l'URSS, en partie grâce à l'espionnage, pour se doter d'une arme du même type.

En pleine paranoïa, les Etats-Unis traquent les espions soviétiques. Le 19 juin 1953, Ethel et Julius Rosenberg, un couple de juifs new-yorkais condamnés deux ans plus tôt pour avoir transmis des documents secrets à l'URSS, sont exécutés sur la chaise électrique, au plus fort de la Guerre froide.

Pendant près de 40 ans, Washington et Moscou - bientôt rejoints par la Grande-Bretagne, la France et la Chine - vont accumuler des quantités considérables d'armements nucléaires. A la fin des années 1990, le nombre d'ogives nucléaires détenues par les Etats-Unis est estimé à près de 10.000, et celui de la Russie est probablement trois fois plus élevé. Il faudra attendre fin 1991, et l'effondrement de l'Union soviétique, pour que la baisse des crédits consacrés à la dissuasion par les Etats nucléaires entraîne une réduction des arsenaux.

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Le journal australien Herald-Sun dénonce le 10 octobre 2006 à la Une l'essai nucléaire auquel la Corée du nord vient de procéder - AFP
Le journal australien Herald-Sun dénonce le 10 octobre 2006 à la Une l'essai nucléaire auquel la Corée du nord vient de procéder - AFP

En août 1995, les opposants au nucléaire venus commémorer le 50e anniversaire du bombardement d'Hiroshima pouvaient donc y croire. La nouvelle ère qui s'ouvrait semblait repousser l'éventualité d'un conflit atomique dévastateur. Seule la décision de la France de procéder à une dernière série d'essais nucléaires dans le Pacifique assombrissait le paysage.

Une « nouvelle guerre froide » ?
Devant 60.000 personnes rassemblées dans le Parc de la paix, Takashi Hiraoka, le maire d'Hiroshima, pouvait lancer au monde le « message d'espoir » de ceux qui ont survécu au cataclysme et reconstruit une cité prospère, "retrouvant leur dignité d'êtres humains complètement anéantie par la bombe atomique".

Vingt ans plus tard, les illusions se sont envolées, avec la multiplication des crises régionales.

Neuf pays possèdent désormais l'arme atomique. Outre les cinq détenteurs officiels, quatre Etats se sont dotés officieusement de la bombe nucléaire : l'Inde, le Pakistan, Israël (qui n'a jamais confirmé, ni démenti détenir  l'arme atomique) et, plus récemment, la Corée du Nord.

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Deux fillettes lancent des lanternes flottantes sur la rivière proche des ruines du dôme d'Hiroshima le 6 août 2002 - AFP
Deux fillettes lancent des lanternes flottantes sur la rivière proche des ruines du dôme d'Hiroshima le 6 août 2002 - AFP

L'Iran, lui, constitue un cas particulier. Soupçonné par la communauté internationale de chercher à développer l'arme atomique dans les années 2000, Téhéran a conclu en 2015 un accord avec les grandes puissances garantissant le caractère civil de son programme nucléaire, en échange d'une levée sur dix ans de sanctions internationales.
Mais le Traité sur la non-prolifération (TNP), entré en vigueur en 1970, est de plus en plus obsolète. « Sauf événement majeur ou surprise stratégique, nous devons par conséquent nous habituer à vivre pour longtemps dans un monde comptant au moins neuf Etats nucléaires », constate Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

Globalement, si les forces nucléaires continuent de diminuer dans le monde, la modernisation des arsenaux se poursuit. Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), qui fait autorité, début 2014, les neuf Etats nucléaires possédaient « près de 4.000 armes nucléaires opérationnelles », largement de quoi faire sauter la planète. « Si toutes les ogives nucléaires étaient comptabilisées, l'ensemble de ces Etats posséderaient un total d'environ 16.300 armes nucléaires, contre 17.270 début 2013 », écrivait le SIPRI en 2014.

Depuis 70 ans, l'équilibre de la terreur entre les puissances atomiques a cependant joué son rôle. Aucune bombe atomique n'a été larguée depuis celles d'Hiroshima et Nagasaki et le monde n'a plus connu de conflit global. Mais dans un environnement toujours plus instable, aucun des pays détenteurs de l'arme nucléaire n'envisage d'y renoncer.

Quant à l'idée des opposants aux armes nucléaires de les déclarer « hors-la-loi », les spécialistes l'évacuent d'une formule : « Si l'arme nucléaire devenait hors-la-loi, seuls les hors-la-loi la posséderaient ».