Hiroshima : La presse et "la mort atomique"

 

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Les ruines d'Hiroshima quelques jours après le bombardement américain du 6 août 1945 - AFP
Les ruines d'Hiroshima quelques jours après le bombardement américain du 6 août 1945 - AFP

L'annonce du bombardement d'Hiroshima stupéfait le monde. Elle soulève aussi de vives inquiétudes sur la puissance nucléaire et la hantise d'un anéantissement de la planète.

Dans Combat, Albert Camus consacre le 8 août 1945 son éditorial à cette nouvelle arme. « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. En attendant, il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer ainsi une découverte, qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. »

De New York à Paris, d'autres extraits de la presse internationale rapportés par l'AFP.

NEW-YORK, 7 août

« L'homme vient de déchaîner l'atome pour détruire l'homme. Un autre chapitre de l'histoire humaine commence », écrit dans le New York Times, M. Baldwin, critique militaire, résumant ainsi l'impression profonde causée au peuple américain par la découverte de la bombe atomique (...) « C'est également une révolution dans la science comme dans la guerre, qui peut avoir des conséquences stupéfiantes. Il est difficile de croire qu'avec la perspective d'un complet anéantissement les peuples voudront encore faire la guerre. Mais l'humanité s'assagira-t-elle assez vite pour gagner cette course entre la civilisation et la destruction ? »

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PARIS 7 AOUT

Les merveilles de la science


François Mitterrand, dans « Libres », considère avec quelque effroi la découverte de la bombe atomique.

« Une seule bombe, d'une puissance explosive 2.000 fois supérieure aux bombes-bagatelles qui ont agrémenté ces dernières années, écrit-il, aura donc, d'un seul coup, anéanti quelques dizaines de milliers d'hommes. On n'a jamais aussi bien réussi dans la chasse aux lapins. Il est vrai que les lapins n'ont jamais été aussi dangereux que les hommes. Le président Truman invoque la providence et la remercie d'avoir permis aux alliés anglo-saxons de gagner de vitesse leurs ennemis. Félicitons-nous en avec lui ; mais n'en soyons pas pour cela tellement rassurés. La science ne connaît pas de frontières et ne choisit pas ses maîtres. Aveugle, elle servira avec autant de dévouement le bon ou le mauvais. Et si les Japonais voient aujourd'hui leurs villes disparaître dans un fracas épouvantable, que les autres peuples jettent vite un regard sur la fragilité de leurs propres cités ! »

(François Mitterrand entrera au gouvernement le 22 janvier 1947, comme ministre des Anciens combattants et victimes de guerre, devenant à 30 ans l'un des plus jeunes ministres de la République.)

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LONDRES, 8 août

« Désormais, écrit le Daily Herald, l'humanité possède des moyens de suicide total, et il est clair que nous approchons d'un stade du progrès de la science où la grandeur d'une nation, ses ressources, sa puissance politique, ne pourront plus être une certitude de sécurité ».

De son côté, le Daily Express souligne que la découverte atomique signifie « ou le désarment total ou une existence dans un perpétuel état de terreur ». « Il ne sera plus possible désormais, dit-il, de se rendre compte qu'une nation se prépare à la guerre, les armes nécessaires pourront être forgées dans un petit nombre de laboratoires souterrains ».

"En effet, dit le Times, il ne faut pas s'attendre à ce que la peur seule empêche l'homme de faire la guerre, les récentes années l'ont prouvé. La raison dira bien que la guerre ressemble de plus en plus à un suicide, mais elle ne réussira pas mieux que l'argument de la perdre".

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L'explosion nucléaire sur Nagasaki le 9 août 1945 - AFP
L'explosion nucléaire sur Nagasaki le 9 août 1945 - AFP

Une mort nouvelle


NEW-YORK, 9 août

Le « New York Herald » publie au sujet de la bombe atomique une information impressionnante.

Il déclare que d'après des calculs effectués lors de la première division de l'atome en 1939, les Japonais d'Hiroshima ont dû périr sous une température de deux mille milliards de degrés centigrades. Il serait faux, ajoute le journal, de dire qu'ils brûlèrent, car dans un temps inimaginablement court plusieurs millions d'explosions firent éclater les atomes constituant leur corps.

C'est une mort nouvelle : la mort atomique.

A Paris, Jean Marin, futur PDG de l'AFP, s'inquiète de l'avenir du monde, le 11 août dans les « Nouvelles du Matin ».

« La terrifiante destruction de Hiroshima suivie de l'attaque contre Nagasaki montre, à nouveau - mais cette fois dans des conditions qui font dresser les cheveux - ce que peut donner la science au service de la guerre (...) Les braves gens du monde entier se sont comptés avant-hier, à l'horreur qu'ils ont éprouvée devant le spectacle - sans doute provisoire et accidentel - du genre humain se dévorant lui-même ».

Dans France Soir, J.D. Jurgensen écrit : « Et pourtant, la prodigieuse nouvelle de cette grande découverte était-elle une bonne nouvelle ? On voudrait en être sûr. L’homme dispose d’une puissance illimitée de construction, mais aussi de destruction. Cet apprenti sorcier, dépassé par ses propres créations, saura-t-il les utiliser pour la paix, non pour la guerre ? (...) Il s’agit de remédier à la disproportion toujours croissante entre le progrès technique et le progrès moral. Il s’agit, tout simplement, d’empêcher que l’esprit ne soit écrasé par la matière au moment même où il devrait en être définitivement affranchi ».