Nom de code « Manhattan » : comment les Américains ont fabriqué la bombe atomique
La bombe atomique qui rase Hiroshima le 6 août 1945 a été conçue en grand secret dans le cadre du « projet Manhattan », nom de code qui désigne l'un des plus grands défis scientifiques et industriels de l'histoire.
Un projet conduit à marche forcée aux Etats-Unis à partir de 1942, dont même le vice-président Harry Truman, à qui incombera la décision finale, n'avait pas connaissance.
Car la menace est alors bien réelle que l'Allemagne nazie se dote la première de l'arme atomique et prenne définitivement l'avantage sur les pays alliés. En décembre 1938, le chimiste allemand Otto Hahn, de l'institut Kaiser Wilhem de Berlin a découvert le principe de la fission nucléaire.
Réfugié aux Etats-Unis depuis 1933, Albert Einstein informe Franklin Roosevelt que ce nouveau phénomène peut conduire à la construction de bombes « d'un nouveau type, d'une très grande puissance ». Le président américain lui répond en constituant un Comité consultatif sur l'uranium. Mais l'Amérique n'est pas encore impliquée dans la guerre et c'est en Grande-Bretagne, où l'on redoute le plus une arme nucléaire allemande, que les recherches s'intensifient.
Dès 1940, il apparaît pourtant que seuls les Etats-Unis disposent des énormes capacités scientifiques et industrielles nécessaires pour fabriquer la bombe.
En juin 1942, la construction de gigantesques usines et laboratoires est confiée à l'armée américaine. C'est le début du « projet Manhattan », sous la responsabilité du général Leslie Groves du corps des ingénieurs de l'armée.
Une entreprise d'autant plus énorme que l'on estime alors qu'il y a plusieurs manières de provoquer une explosion nucléaire, qui présentent toutes d'importantes difficultés industrielles. Les moyens colossaux mobilisés - on parle d'un pari à deux milliards de dollars - permettront de toutes les explorer, jusqu'à parvenir à la réponse stratégique satisfaisante.
- « Comme si l'on avait allumé le soleil » -
Groves confie à Robert Oppenheimer la direction de la ville-laboratoire de Los Alamos, au Nouveau-Mexique. A Chicago, l'Italo-Américain Enrico Fermi, prix Nobel de physique 1938, obtient la première réaction en chaîne contrôlée de fission nucléaire. A Oak Ridge (Tennessee), des milliers d'ouvriers travaillent à la construction de réacteurs nucléaires à l'échelle industrielle.
Et les informations fournies par les services de renseignements attisent la crainte que les scientifiques allemands prennent l'équipe de vitesse. Considéré comme le plus grand physicien nucléaire du monde, le Danois Niels Bohr (prix Nobel 1922), s'échappe en 1943 du Danemark occupé et rejoint Los Alamos, où il apporte une contribution décisive.
Une fois les problèmes théoriques résolus, les scientifiques doivent surmonter les obstacles techniques. Comment provoquer l'explosion ? Comment fabriquer une bombe qui pourra être lancée avec précision d'un avion ?
Dès l'été 1944, Groves choisit le site d'Alamogordo, dans le désert du Nouveau-Mexique, pour procéder à un tir expérimental. Trois bombes sont prêtes moins d'un an plus tard : le « gadget », destiné au tir d'essai, « Little boy » (à l'uranium) et « Fat man » (plutonium), qui s’apprêtent à partir pour le Pacifique.
Baptisé « Trinity » par Oppenheimer, la première explosion atomique de l'histoire à lieu le 16 juillet 1945, sous les yeux de l'élite de la physique nucléaire mondiale et de nombreux témoins réfugiés dans des abris, dont les plus proches sont à 8 km du lieu de l'explosion. « Brutalement, et dans le plus grand silence, les collines furent baignées d'une brillante lumière, comme si l'on avait allumé le soleil en pressant sur un bouton », écrira Otto Frisch, l'un des pionniers de la recherche nucléaire.
L'information parvient sous forme de message codé à Harry Truman - qui a succédé à Roosevelt trois mois plus tôt -, à Potsdam, en Allemagne, où il discute avec Staline et Churchill du sort des nations vaincues : « Opération effectuée ce matin. Diagnostic encore incomplet mais résultats paraissent satisfaisants et dépassent déjà tous nos espoirs ».
Les deux milliards investis dans « Manhattan » ont permis aux Etats-Unis de se doter de l'arme qui allait bousculer l'équilibre des forces et précipiter l'issue du conflit. En ordonnant de bombarder Hiroshima, Harry Truman en tirera les conséquences sur le plan militaire.