Robert Oppenheimer, le « père » de la bombe A

 

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Les physiciens américain Robert Oppenheimer et italo-américain Enrico Fermi en septembre 1949 - AFP
Les physiciens américain Robert Oppenheimer et italo-américain Enrico Fermi en septembre 1949 - AFP

L'explosion d'Hiroshima consacre des années de recherches d'un groupe de physiciens américains exceptionnels conduits par Robert Oppenheimer. Mais cet esprit hors normes, devenu un héros national, symbolisera bientôt le scientifique tourmenté par les implications morales de ses découvertes.

Considéré comme le « père de la bombe atomique », il paya d'une exclusion des programmes de recherches son opposition au développement de la bombe H américaine. Oppenheimer, ou la chute d'un surdoué victime du maccarthysme.

Né en 1904 à New York dans une famille juive fortunée, Julius Robert Oppenheimer entre à Harvard en 1922, puis poursuit sa formation auprès des plus brillants scientifiques européens. De retour aux Etats-Unis, il se partage entre l'enseignement et la recherche. Mais il s'engage aussi au sein d'un syndicat pour défendre le droit des enseignants à s'exprimer librement.

Farouchement opposé au nazisme, il s'inquiète de la montée du régime hitlérien et des avancées des recherches nucléaires conduites en Allemagne sous la direction du physicien Weiner Heisenberg.

En 1942, il est chargé d'évaluer la faisabilité d'une bombe atomique, à la tête d'un groupe rassemblant les meilleurs spécialistes américains, comme Hans Bethe, Arthur Compton ou Edward Teller. Dès lors, Oppenheimer va jouer un rôle majeur dans la conception de l'engin. Malgré son passé militant, il est nommé directeur scientifique du laboratoire secret de Los Alamos (Nouveau-Mexique), où est conduit le projet « Manhattan ».

Décrit comme « un bon soldat » par l'un de ses collègues physiciens, cet homme sec, austère, à la silhouette longiligne, dirige bientôt une communauté de plusieurs centaines de chercheurs.

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Robert Oppenheimer en 1944 - AFP
Robert Oppenheimer en 1944 - AFP

- « Le destructeur des mondes » -

Au plus fort des combats de la Seconde Guerre mondiale, « Manhattan » sera mené à bien en deux ans. Et quand les scientifiques de l'équipe veulent se faire entendre sur les conséquences de l'usage des armes atomiques, Oppenheimer s'y oppose et refuse de prendre la défense de collègues dont la fiabilité politique est mise en doute.

Après la capitulation de l'Allemagne, les recherches se poursuivent à Los Alamos. La guerre fait rage dans le Pacifique et les soldats américains continuent de tomber par dizaines de milliers.

Trois semaines avant le bombardement d'Hiroshima, l'essai Trinity dans le désert du Nouveau-Mexique, première explosion atomique de l'histoire, lui fait prendre conscience des terribles conséquences de ces nouvelles armes et de sa propre responsabilité. Il récite alors ces mots tirés du Mahâbhârata, le grand poème épique indien : « Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes ».

Après le premier essai atomique soviétique, en 1949, Oppenheimer s'oppose à la mise au point d'une bombe thermonucléaire, qu'il considère comme un instrument de génocide. Mais avec les prémices de la Guerre froide, son manque d'enthousiasme est considéré comme une trahison. Dans une Amérique en proie à un anticommunisme virulent, il est accusé d'être un agent soviétique. On fouille dans son passé, son militantisme d'avant-guerre, et les liens de ses proches - son frère Franck ou son épouse Kitty - avec le Parti communiste américain.

Un simulacre de procès est bientôt monté contre lui. A la suite d'une « audition de sécurité » devant trois personnes, son habilitation à poursuivre ses recherches au sein du Comité à l'énergie atomique (AEC) lui est retirée le 29 juin 1954.

Exclu des programmes militaires, il se recentre sur ses travaux à l'Institut d'étude avancée (Institute for advanced study, IAS) de Princeton, où il a succédé à Albert Einstein. Si l'homme est profondément atteint, son prestige reste immense. A la fin du maccarthysme et de la chasse aux rouges, Kennedy devenu président oeuvrera pour qu'il obtienne en 1963 le prix Enrico Fermi, l'une des plus hautes distinctions scientifiques américaines. Ce prix lui sera remis par le président Lyndon Johnson quelques jours après l'assassinat de Kennedy.

Atteint d'un cancer de la gorge, Oppenheimer mourra quatre ans plus tard. « Le pays lui demanda de faire quelque chose et il l'accomplit brillamment. Pour cet extraordinaire accomplissement, ils le récompensèrent en le brisant », résumera l'ancien directeur de l'IAS Marvin Leonard Goldberger.