Hermann Goering se défend
En mars 1946, quatre mois après l'ouverture du procès de Nuremberg, Hermann Goering, le plus haut responsable nazi accusé, prend pour la première fois la parole. Sa déposition dure huit jours. Voici des extraits des dépêches AFP publiées les 13 et 14 mars :
NUREMBERG, 13 mars 1946 (AFP) - « Goering parle sans bouger, carré sur son siège, à la barre des témoins, le menton incliné sur la poitrine. Les yeux fixes, l'air presque absent. Il s'exprime d'une voix sourde et grave, mais très vite et en roulant les "R". Les autres accusés l'écoutent avec attention, avec respect même; pour eux, il reste toujours le grand chef, même dans l'adversité et la captivité, et si l'on pouvait se permettre de prendre des poses indifférentes ou narquoises lors des récits d'atrocités nazies, il n'en est plus de même à l'heure actuelle: l'histoire de l'accession des vingt sinistres compères au pouvoir est pleine d'un attrait captivant à leur propre oreille. Hess a fermé ses romans policiers et ses livres d'images; Streicher ne songe même plus à mâcher son éternel chewing-gum.
Quant aux journalistes qui commençaient à croire qu'ils n'entendraient jamais parler Goering, sa soudaine apparition devant le microphone, au moment où tout portait à croire que le procès de ses propres témoins allait s'éterniser, fit l'effet d'un coup de tonnerre dans le ciel bleu. Ce fut une ruée sur les cabines téléphoniques. » (...)
« J'ai tout fait pour renforcer et grandir le parti national-socialiste et lui donner le pouvoir. J'ai tout fait pour donner à Hitler la place qui lui revenait, c'est-à-dire la première » , s'écrie avec emphase l'ex-Reichsmarchall. (...)
« (Notre) sécurité exigeait l'arrestation de tous nos adversaires. Des mesures avaient été prises déjà avant nous contre les communistes et contre les nationaux-socialistes. Les prisons étaient pleines. Je décidai donc la création de camps de concentration qui ne sont pas une invention nationale-socialiste. Le nom même n'a pas été trouvé par nous. Il appartient à l'histoire. Il y eut naturellement des excès au début, des innocents ont été détenus et des actes de brutalité ont été commis. Cependant, s'exclame Goering, la révolution nationale-socialiste est la révolution la moins sanglante et la plus disciplinée dont l'histoire ait jamais été témoin » .
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NUREMBERG, 14 mars 1946 (AFP) - « Quelques minutes avant l'ouverture de la séance de ce matin, Goering a traversé la salle d'audience, un dossier de cuir fauve sous le bras, pour reprendre sa place à la petite table réservée aux témoins. Il s'est installé confortablement, a placé un verre d'eau à sa gauche et son dossier sous les yeux. Il s'est entretenu longuement avec plusieurs avocats en attendant l'arrivée de la cour. »
Goering est revêtu, comme d'habitude, de sa tunique grise et chaussé de magnifiques bottes noires.
Hermann Goering a fait toilette ce matin. Il a remplacé l'épaisse écharpe grenat à pois blancs qu'il portait autour du cou depuis sa courte attaque de grippe, il y a deux mois, par un léger cache-col de la même nuance gris-perle que son uniforme de Reichmarschall de la Luftwaffe. Soigneusement rasé, les cheveux tirés en arrière, on dirait vraiment le Goering des grands jours, toutefois moins le ventre et les décorations.
Le tribunal fait son entrée à 10h. Le Dr Sthamer, défenseur de l'accusé, poursuit l'interrogatoire de son client (...).
Traitant alors la question juive, le Reichmarschall déclare qu'en 1918, après la défaite de l'Allemagne, les Juifs prirent une place particulièrement importante en Allemagne. Ils venaient de l'est de la Pologne et « se montraient de plus en plus insolents tandis qu'ils envahissaient peu à peu toutes les branches de l'activité économique » .
« Les Juifs ont souillé tout ce qui nous était sacré. Il en résulta un mouvement de défense à leur encontre. Nous désirions que l'Allemagne fut menée par des Allemands et, comme les Juifs se déchaînèrent alors contre nous, ce fut la lutte ouverte et elle devint de plus en plus acharnée » . (...)
A la reprise de l'audience, Goering, sur une question de son avocat, précise que les nationaux socialistes ne poursuivaient pas l'anéantissement de la race juive. Il expose comment les pogroms de novembre 1938 furent provoqués par la nouvelle de l'attentat contre un conseiller d'ambassade à Paris. Ils sont l'oeuvre de Goebbels « farouche antisémite » . Le Führer lui-même ignorait tout et la décision de provoquer des émeutes anti-juives avait été prise à son insu. (...)