Ils ont vécu Nuremberg de l'intérieur
Par Bénédicte REY
Psychologue, traducteur, témoin... ils ont vécu le procès de Nuremberg de l'intérieur et l'ont raconté.
- Marie-Claude Vaillant-Couturier, devenue plus tard une grande figure du Parti communiste, était une jeune résistante de 33 ans, survivante des camps d'Auschwitz / Birkenau puis de Ravensbruck. Au procès, elle a livré un témoignage implacable de plus de deux heures: les nuits des détenues, entassées sur des planches, l'appel à trois heures du matin, qui durait plusieurs heures, les femmes qui accouchaient et dont les nouveaux-nés étaient noyés sous leurs yeux, les détenues privées d'eau potable, contraintes de boire l'eau des flaques avant de s'y laver...
« Avant de prendre la parole devant la Cour, je suis passée devant les accusés, très lentement. Je voulais les regarder de près. Je me demandais à quoi pouvaient ressembler des gens capables de crimes si monstrueux (...) Pendant que je les dévisageais, je me disais « regardez-moi bien, car, à travers mes yeux des milliers d'yeux vous regardent ; et par ma bouche, des milliers de voix vous accusent » , confia-t-elle à l'Humanité.
- G.M. Gilbert était le psychologue de la prison pour la durée du procès. Il a rapporté dans « Le Journal de Nuremberg » (1947) les réactions des accusés à la projection de films sur les camps:
« Schacht ne veut pas voir le film et proteste quand je lui demande de le regarder, il se détourne, croise les bras, regarde dans la galerie (...) Fritzsche est déjà pâle et frappé de stupeur quand viennent les scènes montrant des prisonniers brûlés vifs... Keitel s'essuie le front, enlève ses écouteurs... Hess regarde fixement l'écran, ayant l'air d'un vampire... Funk se couvre les yeux des mains, a l'air à l'agonie, secoue la tête... Von Ribbentrop ferme les yeux, se détourne. Sauckel s'éponge... Frank avale sa salive, cligne des yeux, essayant de refouler ses larmes... Fritzsche regarde avec une attention extrême, les sourcils froncés, cramponné à son siège, manifestement à la torture... Goering s'appuie à la balustrade, ne regardant pas la plupart du temps, l'air découragé. (...) Sauckel frémit à la vue du four crématoire de Buchenwald... Quand on montre un abat-jour en peau humaine, Streicher dit: " je ne crois pas ça ". (...) Frick secoue la tête, l'air incrédule quand une doctoresse décrit le traitement et les expériences infligées à des prisonnières à Belsen. (...) Après la présentation, Hess déclare: " je ne le crois pas ". Goering lui murmure de se tenir tranquille, ayant perdu lui-même tout son aplomb. Streicher dit quelque chose comme : " Peut-être dans les dernières années ". Fritzsche réplique avec mépris : " Des millions ? Au cours des derniers jours ? Non ". A part cela, un silence maussade régna quand les prévenus sortirent en file de la salle du tribunal » .
- Richard W. Sonnenfeld, était traducteur en chef au procès. « Ces hommes n'avaient pas de conscience » , a-t-il estimé dans ses mémoires parues en 2003 (« Plus d'une vie » ).
« J'ai été surpris par la double personnalité de ces hommes qui ont tout accepté d'Hitler et sont devenus aveugles. Comment ces militaires aux mains propres et qui n'étaient pas des animaux sauvages avaient-ils pu commettre ces atrocités? » , s'interroge-t-il dans l'ouvrage.
Il se rappelle surtout d'Hermann Goering qui avait « le masque parfait du mal » . « Il a nié toute participation au génocide. Malgré les preuves, il a nié et, comme les autres, il n'a jamais parlé de ses responsabilités » , écrit-il.
Pour lui, l'apport le plus important de Nuremberg est « que les preuves que l'accusation a apportées sur les victimes de Allemagne nazie ne peuvent être contestées. Avec les sentences, justice était faite » .