Entre révolte et désarroi, la population de Berlin Ouest se sent abandonnée
Dans les jours qui ont suivi l'édification du Mur le 13 août, un certain dépit s'est emparé des Berlinois de l'Ouest face aux faibles protestations occidentales.
Le 15 août, les trois commandants alliés à Berlin ont finalement réagi en remettant au commandement soviétique une protestation écrite contre la violation du statut quadripartite de la ville par les autorités de Pankow (le régime est-allemand). Une intervention qualifiée de « gratuite et tardive », dans les milieux proches du bourgmestre (maire) de Berlin-Ouest, Willy Brandt.
Le 16 août, la première grande manifestation contre les mesures prises par l'Allemagne communiste est organisée par les autorités ouest-berlinoises sur la place de l'Hôtel de ville où se massent quelque 200.000 personnes. Un envoyé spécial de l'AFP en rend compte.
BERLIN, 16 août 1961 (AFP) - Après une matinée de pluie ininterrompue le ciel s'est éclairci au début de l'après-midi, lorsque les Berlinois de l'Ouest se sont mis en route vers l'hôtel de ville de Schöneberg, siège du sénat-gouvernement.
Dès trois heures, la circulation des voitures était pratiquement interrompue dans Wilmersdorf et dans Friedenau, à deux ou trois kilomètres du point de rassemblement. Les manifestants s'avançaient à pied par de longues colonnes : une foule de civils, hommes et femmes vêtus ou portant des imperméables. Ils étaient 60.000 vers trois heures et demie, étroitement pressés sur la place de l'hôtel de ville et des dizaines de milliers d'autres dans les rues adjacentes où les mégaphones diffusaient les discours.
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Que souhaitent, que veulent ces manifestants réunis à Schöneberg ? Les pancartes hissées au-dessus de leurs têtes le disent clairement :
« Aux puissances occidentales : On n'arrête pas les chars avec des papiers » - « Abolition de la frontière » - « Il n'y a qu'une Allemagne » - « Elections libres » - « A bas Ulbricht » - « A bas le parti socialiste-communiste unifié » - « De la fermeté » - « 90 heures de passées, rien de fait » - « Nous sommes indignés par l'inertie: tout est-il donc promesses creuses » - « Kennedy à Berlin » - « Sommes-nous trahis par l'Ouest » - et ainsi de suite.
A droite, à gauche, et partout, depuis la tribune dressées sur l'escalier de l'hôtel de ville jusqu'aux immeubles neufs aux balcons bourrés de monde qui bordent le fond de la place.
La foule chante. Ce qu'elle chante est un hymne des temps de la guerre de libération de 1812 : « Liberté en qui j'ai foi, Liberté qu'émeut mon cœur ». Le bourgmestre adjoint Franz Amrehn prend la parole le premier. M. Willy Brandt, bourgmestre régnant, candidat à la chancellerie, et qui a abandonné toute activité pour remplir les devoirs de sa charge, parait ensuite à la tribune. Il est acclamé.
Lorsque M. Brandt parle de M. Ulbricht, des huées montent de la foule. Quand il réclame des alliés autre chose que des mots pour défendre Berlin contre les menaces soviétiques, une vague d'acclamations s'enfle de nouveau.
« Ce qui s'est passé depuis dimanche dernier, dit le bourgmestre régnant, est une nouvelle édition de l'occupation de la Rhénanie par Hitler, mais l'homme aujourd'hui s'appelle Ulbricht. Il s'agira de faire en sorte, dans les semaines et les mois qui suivent, que Berlin ne devienne pas un nouveau Munich ».
C'est là le cœur de son discours. Un peu après 17 heures, la foule entonne le Deutschlandlied (hymne national de la RFA). Au beffroi de l'Hôtel de ville, la « cloche de la liberté » se met à sonner.
Le ciel se couvre de nouveau, comme au théâtre la fin d'une scène. Une pluie fine recommence à tomber. La foule lentement, se disperse.
Le point le plus rapproché de la frontière de Berlin-Est est à plus de 3 kilomètres et des cordons de police le surveillent. Il est à peu près certain qu'il n'y aura pas d'incidents ce soir.