Un vent nouveau souffle à l'Est
Début 1989, la pression de l'URSS sur les « pays frères » du Pacte de Varsovie, mélange d'ingérence et de diktats, s'est déjà significativement relâchée alors que monte dans certaines capitales, Budapest et Varsovie notamment, une fièvre démocratique.
C'est l'une des conséquences de la politique de libéralisation baptisée « perestroïka » (restructuration) et « glasnost » (transparence) lancée par Mikhaïl Gorbatchev dès son arrivée au Kremlin en 1985, visant à réformer un système en bout de course.
En moins d'un an, avant ou après la chute du Mur, six pays - Pologne, Hongrie, RDA, Bulgarie, Tchécoslovaquie, Roumanie - ont connu des bouleversements historiques, tournant de fait ou officiellement la page sur des décennies de pouvoir communiste sans partage.
C'est en Hongrie que se sont ouvertes les premières brèches dans le Rideau de fer, prélude à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989
Le 2 mai 1989, la Hongrie commence à cisailler les barbelés fermant depuis 1966 sa frontière avec l'Autriche. En août, à l'occasion d'un pique-nique paneuropéen, plus de 600 Allemands de l'Est en vacances en Hongrie profitent de l'ouverture exceptionnelle d'un poste-frontière avec l'Autriche pour fuir à l'Ouest.
Nouveau coup de tonnerre le 10 septembre, lorsque Budapest décide d'ouvrir ses frontières occidentales et autorise dès le lendemain les Allemands de l'Est à passer librement en Autriche, dénonçant unilatéralement l'accord conclu avec la RDA en 1969. Plus de 50.000 personnes passent ainsi à l'Ouest.
Un journaliste de l'AFP, Jean Burner, enquête alors sur les motivations des Allemands de l'Est arrivant à l'Ouest par la Hongrie.
VIENNE 10 septembre 1989 (AFP) - Ils ont en majorité moins de 30 ans, une qualification professionnelle, certains une voiture et une maison, et pourtant ils sont plus de 13.000 à fuir massivement la RDA au cours des vacances d’été, légalement et illégalement par la Hongrie et l’Autriche.
Pour tous les réfugiés est-allemands, les motifs sont identiques : manque de liberté de voyager, manque de perspectives professionnelles, médiocre qualité de vie, anachronisme du système politique.
Günther, la trentaine, ingénieur diplômé de Dresde a tout laissé derrière lui sur un camping hongrois : sa voiture et sa caravane d’une valeur de 60.000 marks est-allemands. « Certes, nous avons à manger et du travail, mais nous n’avons pas de liberté », dit-il pour expliquer sa fuite.
Hans-Jürgen, de Berlin-Est, était responsable d’une petite entreprise. « je n’ai rien contre le socialisme, dit-il, mais je ne peux plus supporter toutes ces chicaneries. Chaque peuple, qui est enfermé, essaie de se libérer ».
Klaus et Eva, deux étudiants de 22 et 19 ans ne pouvaient plus supporter leur vie quotidienne en RDA : « Le système nous prend en charge du berceau jusqu’au cercueil, tu ne peux rien décider tout seul. Et dans toute l’Allemagne de l’Est, ces files d’attente interminables...»
Pour la plupart, le besoin de liberté est plus grand que la sécurité matérielle en RDA. Ute, 25 ans de Karl-Marx-Stadt : « Nous savons que des pommes d’or ne poussent pas sur les arbres en RFA, mais nous avons des mains pour travailler ».
Enfin Uwe, amoureux de la nature, estime que la RDA « n'offre aucune perspective à long terme ». « Il est très difficile de gagner plus de 1.000 marks est-allemands par mois. Il faut déjà avoir des relations, appartenir au Parti communiste est-allemand ».
- Les difficultés des plus de 40 ans -
Tous les réfugiés constatent déjà que la Hongrie, pourtant pays-frère, offre beaucoup plus de liberté. « Les Hongrois, disent les jeunes Allemands de l’Est, ont un passeport valable pour tous les pays du monde. Ils n’ont besoin que d’un visa et de l’argent pour aller en Amérique ou dans n’importe quel pays de leur choix. Nous devons lutter pendant des mois au sein de l’entreprise pour obtenir une autorisation de sortie pour la Hongrie et 5.000 malheureux forints (530 francs) ».
Tous ces jeunes savent aussi qu’ils ont coupé les ponts avec leur famille et qu’ils ne reverront sans doute pas leurs parents dans les prochains temps.
« Nos parents ont appris notre fuite par un télégramme », disent Klaus et Eva. « Ils nous ont déjà demandé avant notre départ, si nous voulions fuir. Nous avons répondu que non ».
Les réfugiés de plus de 40 ans sont plutôt rares. Ils savent que leur reconversion en RFA est plus difficile que pour les jeunes et qu'ils laissent souvent derrière eux en RDA un certain confort matériel, voiture, maison et emploi.
Une famille, originaire de Saxe, a longtemps hésité avant de se décider : « Nous avons laissé en RDA notre second fils de 22 ans. Si nous décidons de partir en RFA, nous ne le reverrons pas avant des années ».
Des parents, alertés par les autorités est-allemandes ont tenté en vain, en se rendant dans les camps de réfugiés en Hongrie, de persuader leurs enfants de retourner avec eux en RDA. « Ni les sollicitations des autorités, ni les supplications de nos parents ne nous font changer d’avis », ont affirmé les jeunes Allemands de l’Est.
Pour les observateurs, cette « grande évasion » des jeunes Allemands de l'Est risque de se poursuivre, même si elle se fera de manière moins spectaculaire. La Hongrie est bien décidée à maintenir la « frontière verte » avec l’Autriche, et la RDA pourra difficilement interdire à ses citoyens de passer des vacances dans un « pays-frère ».