Le "pont des espions", une voie vers la liberté sous haute tension
On l'avait surnommé « le pont des espions ». Durant la guerre froide, c'est sur le pont en fer de Glienicke reliant la zone américaine de Berlin-Ouest à la ville est-allemande de Potsdam, en enjambant la rivière Havel, que se sont déroulés sous très haute surveillance les principaux échanges de prisonniers, des agents secrets pour la plupart, entre l'Est et l'Ouest.
La légende de l'un des points de transit les plus célèbres de l'histoire du Mur a commencé à s'écrire en 1962, quand le pilote d'un avion espion américain abattu au-dessus de l'URSS, Francis G. Powers, est échangé sur ce pont long de 128 mètres, contre un colonel du KGB, Rudolf Abel, détenu aux Etats-Unis pour détournement de secrets militaires.
Sur ce point de passage exclusivement réservé aux forces militaires alliées occidentales ou soviétiques, se croisèrent en 1981 les destins du maître-espion Günter Guillaume et d'une trentaine d'agents occidentaux. Cet officier de la Stasi (sécurité d'état) est-allemande avait déclenché en 1974 la chute du chancelier social-démocrate Willy Brandt dont il était devenu un conseiller proche avant d'être démasqué et emprisonné.
Mais l'opération la plus retentissante reste le passage à l'Ouest, le 11 février 1986, du dissident juif soviétique Anatoli Chtcharanski, condamné en 1978 à treize ans de détention en URSS pour "espionnage" au profit des Etats-Unis.
Longuement négociée, sa libération, effectuée en parallèle à un troc d'agents secrets - trois libérés par l'Est et cinq par l'Ouest -, a donné lieu à une mise en scène aussi minutieuse que spectaculaire, retransmise en direct à la télévision américaine.
Une dépêche de l'AFP relate, minute par minute, le déroulement de cette opération hors norme.
BERLIN-OUEST 11 fev 1986 (AFP) - L'échange d'agents, dont a profité le dissident juif soviétique Anatoli Chtcharanski, opéré mardi sur le pont de Glienicke entre Potsdam (RDA) et Berlin-Ouest, s'est déroulé en quelque 40 minutes, selon la chronologie suivante.
- 9H18 GMT : Potsdam (RDA. Arrivée à proximité du pont côté est d'un mini-bus jaune de la police est-allemande transportant les prisonniers dont le dissident Chtcharanski.
- 9H45 GMT : Berlin-Ouest. Arrivée du convoi officiel accompagnant les cinq espions libérés par l'Ouest.
- 9H47 GMT : Le contact est établi sur la ligne blanche de démarcation au milieu du pont, long de 128 m. Une vingtaine de représentants officiels des deux parties et plusieurs minibus prennent position sur les lieux de l'échange.
- 9H51 GMT : Chtcharanski descend du minibus est-allemand et monte dans la voiture de l'ambassadeur américain en RDA, M. Francis Meehan, qui roule jusqu'à la ligne de démarcation.
- 9H55 GMT : Le petit homme portant une chapka noire se dirige alors vers le côté occidental où il est accueilli par l'ambassadeur des Etats-Unis en RFA, M. Richard Burt. Le refuznik et le diplomate se parlent et sourient : la joie de Chtcharanski est manifeste.
- 9H57 GMT : Tous deux quittent le pont à bord de la Mercedes de M. Burt. Derrière la vitre de la voiture, Chtcharanski fait un petit signe de la main et sourit aux photographes. Direction l'aéroport militaire américain de Tempelhof, en plein centre de Berlin-Ouest, d'où ils décollent peu de temps après pour Francfort (RFA).
- 10H00 GMT : L'un des grands négociateurs de l'échange, l'avocat est-allemand Wolfgang Vogel, arrivé peu auparavant par l'Ouest à bord d'une voiture beige conduite par sa femme, entre en action. En deux voyages, il conduit, à bord de sa voiture, les trois prisonniers libérés par l'Est et ramène à Potsdam les prisonniers libérés par l'Ouest.
- 10H19 GMT : Une camionnette bleue de l'US Air Force franchit la ligne blanche de démarcation. Elle va déposer des bagages à l'Est et en revient peu après avec les effets des agents occidentaux relâchés. La camionnette est alors fouillée par des officiels américains.
- 10H27 GMT : Côté occidental, un convoi se forme : une voiture verte et blanche de la police ouest-allemande précède deux voitures officielles américaines et le minibus où se trouvent les espions libérés par l'Est. Une ambulance, restée vide, ferme le cortège qui quitte le pont pour une destination inconnue.
- 10H47 GMT: Tout est terminé côté est. Les agents de l'Est, dont deux ont été embrassés par un officiel en civil, sont partis à bord d'un autocar en attente. Le seul cameraman, qui filmait la scène pour l'Est, a replié bagage.