J'ai annoncé la chute du Mur pour tenter de sauver la RDA
Par Audrey KAUFFMANN
Il est celui qui annonça, le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin. Vingt ans après, l'ancien responsable est-allemand Günter Schabowski (qui mourra fin 2015) est revenu, à l'occasion d'une rencontre avec la presse, sur les circonstances de cette nouvelle lâchée par surprise et qui a ouvert la voie à la réunification de l'Allemagne.
Voici son témoignage recueilli par l'AFP.
BERLIN, 18 septembre 2009 (AFP) - Le mur de Berlin est tombé le 9 novembre 1989 à la suite d'une annonce quelque peu précipitée faite devant la presse par un dirigeant est-allemand qui espérait « sauver » le régime communiste de la RDA.
« Je ne me qualifierais pas de héros qui a ouvert la frontière: en réalité, j'ai agi pour tenter de sauver le système de la RDA », explique aujourd'hui Günter Schabowski, 80 ans.
Il est presque 19H00 le 9 novembre 1989 lorsque Schabowski, porte-parole du comité central du SED (le parti communiste dirigeant), sort de sa poche et lit à voix haute un document annonçant que des visas pour voyager ou émigrer à l'étranger seront délivrés « sans condition » préalable.
A partir de quand ?, demande un journaliste.
Schabowski hésite puis improvise : « autant que je sache... immédiatement ».
Plusieurs correspondants de presse bondissent alors hors de la salle et l'information crépite sur les fils d'agences: « le Mur est tombé ».
La suite est connue. Une fois la nouvelle diffusée à la radio, des milliers de Berlinois de l'Est se précipitent aux postes-frontière où ils buttent sur des gardes non informés. Une barrière s'ouvre finalement vers l'Ouest. Les masses s'engouffrent vers la liberté.
Mais Günter Schabowski n'avait rien prévu de tel.
« Le 9 novembre, j'étais encore un communiste convaincu », confie-t-il vingt ans plus tard devant des journalistes étrangers.
« Ouvrir le Mur n'a pas été une décision humaniste mais tactique, prise sous la pression de la population. L'existence de la RDA était en danger. Entre 300 et 500 personnes fuyaient chaque jour au-delà des frontières, c'était l'hémorragie. Nous devions faire quelque chose pour nous rendre populaires », dit Schabowski.
Il fut le seul membre du « Politbüro », le bureau politique du SED, à venir affronter les manifestants qui furent plus d'un demi-million sur l'Alexanderplatz de Berlin-Est, le 4 novembre 1989.
Selon lui, la chute du Mur a commencé le 17 octobre avec la décision du Politbüro d'évincer Erich Honecker, l'homme fort du régime. « Normalement dans un parti communiste, on ne renverse pas un secrétaire général : un secrétaire général, ça meurt, ça part, mais ça n'est pas renversé ».
« Sous la pression des manifestants, le Politbüro a ensuite demandé au gouvernement de préparer une loi sur la liberté de circulation ». Le projet est bouclé en quelques semaines. « Il est annoncé le lundi 6 novembre, et tout est déjà inscrit là », selon Schabowski.
Mais « une phrase mal formulée » laisse à penser qu'« il y aura une nouvelle instance chargée de délivrer des autorisations » et les manifestants redoublent d'efforts, se souvient-il : « on n'y croyait pas ! On avait pris la plus géniale des décisions, celle d'ouvrir la frontière, et quoi, des protestations massives! Une situation kafkaïenne ».
Il fallait « corriger ça immédiatement avec un décret gouvernemental ».
Le texte est mis au point le 9 novembre au matin en conseil des ministres.
Schabowski le récupère puis l'emporte à la conférence de presse du soir.
Objectif : « annoncer tout ça le plus tard possible pour éviter les questions, soit vers 18H50, la conférence de presse devant se terminer à 19H00 ».
Ce soir-là, l'Histoire de la Réunification se met en marche.
Exclu du SED début 1990 pour avoir fait tomber le Mur, Günter Schabowski fut condamné en 1997 pour complicité dans les morts à la frontière inter-allemande, puis gracié en 2000. Il est l'un des rares dirigeants est-allemands à s'être distancié du régime, en reconnaissant sa responsabilité morale.
« Le 9 novembre, la situation aurait pu dégénérer en bain de sang. On a eu beaucoup de chance », constate-t-il.
« Je me souviens qu'un membre de la Stasi (police secrète) est venu vers moi et m'a dit " Camarade Schabowski, la frontière est ouverte. Rien de particulier à signaler " ».