13 août 1961: quand un mur divise la ville

 

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Le mur de Berlin en juin 1968 - AFP
Le mur de Berlin en juin 1968 - AFP

Aux petites heures du dimanche 13 août 1961 à Berlin-Est, des unités de la police est-allemande entreprennent de dépaver les points de passage routier avec Berlin-Ouest. Des poteaux de béton sont enfoncés et des barbelés tendus.

Ainsi commence l'édification du mur de Berlin qui cimentera la dernière brèche encore ouverte dans le rideau de fer.

Au cours des précédentes 48 heures, les rumeurs de la fermeture de la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest ont pris de plus en plus de consistance. Des dirigeants d'Allemagne de l'Est (RDA) ont multiplié les allusions à un renforcement des pressions et des contrôles, voire à un verrouillage total de la frontière entre la RDA et Berlin-Ouest.

Le vendredi, le conseil des ministres reçoit carte blanche par décision unanime de la « Chambre du peuple », le Parlement de la RDA, pour prendre toutes les mesures afin de stopper définitivement l'exode de la population de l'Allemagne communiste. Au cours des douze dernières années, plus de trois millions de citoyens ont en effet choisi de « voter avec leurs pieds », en préférant la liberté et la prospérité de l'Allemagne de l'Ouest aux rigueurs de la RDA.

A 04H01 ce dimanche-là, un flash de l'AFP daté de Berlin tombe : « D'après DPA (l'agence de presse ouest-allemande), l'armée et la police populaires se concentrent à la limite des secteurs Est et Ouest de Berlin pour interdire le passage ».

Dans un deuxième flash, l'AFP, citant encore DPA, précise : « les chemins de fer métropolitains de Berlin ne passent plus depuis deux heures d'un secteur à l'autre ».

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La porte de Brandebourg, à Berlin, en 1968 - AFP
La porte de Brandebourg, à Berlin, en 1968 - AFP

- Les flashs se succèdent -

- 4H28 : « Le conseil des ministres de la RDA a décidé de mettre en place à ses frontières, même à celles du secteur occidental de Berlin, les contrôles habituels aux frontières d'un Etat souverain ».

- 04H36 : « Une ordonnance du ministère de l'Intérieur d'Allemagne orientale interdit aux habitants de ce pays de se rendre à Berlin-Est s'ils n'y travaillent pas ».

- 04H50 : « Il est interdit à tout habitant de Berlin-Est de travailler à Berlin-Ouest, décide la municipalité de Berlin-Est ».

En tout début de matinée, le journaliste de l'AFP décrit ainsi la situation :

« Des fils de fer barbelés et des chevaux de frise ont été placés dans la nuit, pour fermer hermétiquement la frontière entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. La route est pratiquement coupée aux réfugiés. La plupart des points de passages, entre les deux parties de la ville, sont barrés depuis le lever du jour et sévèrement gardés par des policiers populaires patrouillant mitraillette en bandoulière. Seuls restent ouverts entre les deux Berlin treize postes-frontières, contrôlés par de nombreux piquets renforcés de policiers en armes.

La plus grande partie des stations des lignes de métro, aérien et souterrain, reliant Berlin-Ouest à Berlin-Est sont fermées. Des postes de contrôle sont installés à celles qui restent ouvertes au trafic.

Aucun Allemand de Berlin-Est ne peut plus passer à l'Ouest sans coupe-file spécial, les contrôles sont excessivement sévères ».

Alors que la nasse se referme sur la partie communiste de la ville, un jeune Berlinois de l'Est parvient contre toute attente à forcer avec sa voiture le réseau de fils barbelés séparant les deux secteurs de la ville. « Voyant arriver à grande vitesse le jeune homme dans une " Volkswagen ", les policiers furent trop surpris pour pouvoir arrêter la voiture, qui emporta jusque dans le secteur français le réseau de fils de fer barbelés placé à travers la rue », raconte l'AFP.

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Le mur de Berlin en 1986 - Daniel JANIN - AFP
Le mur de Berlin en 1986. Daniel JANIN - AFP

- 43 km de long -Peu à peu, les kilomètres de barbelés vont céder la place à un mur en béton de 43 km de long scindant la ville en deux du nord au sud. Une autre enceinte, longue de 112 km, isolera de la RDA l'enclave de Berlin-Ouest et ses deux millions d'habitants.

Constamment modernisé durant ses 28 ans d'existence, le Mur est formé sur plus de 100 kilomètres de plaques de béton armé d'une hauteur de 3,60 mètres, surmontées d'un cylindre sans prise pour une escalade, le reste étant constitué de grillages métalliques.

Tout au long de ce « mur de la honte », se trouve, du côté est, un « no man's land », dont la profondeur peut atteindre jusqu'à 300 mètres par endroits. Au pied du mur, une « bande de la mort », constituée d'un terrain soigneusement ratissé pour repérer les traces de pas, est pourvue d'installations de tirs automatiques et de mines.

Sept régiments de 1.000 à 1.200 soldats chacun assurent la surveillance du mur dans 302 miradors et 20 bunkers situés à proximité. Des patrouilles avec des chiens achèvent d'en garantir l'inviolabilité aidés par une multitude de détecteurs ou alarmes et plus de 100 km de fossés anti-véhicule.

Aussi hermétique fut-elle, cette redoutable « barrière antifasciste » n'empêchera pas la fuite de près de 5.000 personnes, jusqu'à sa chute le 9 novembre 1989.

Les candidats à l'exil feront preuve d'une inépuisable ingéniosité pour déjouer celle des Vopos (armée populaire de la RDA) : escalade du mur, tunnel creusé de leurs propres mains, nage ou canot pneumatique, montgolfière artisanale ou avion d'épandage agricole, aile volante... Mais une centaine de fugitifs y laisseront la vie.

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       Portrait de Hartmut Richter, qui faisait passer le Mur - AFP