Robert Badinter : avocat de combats difficiles, bourreau de la guillotine
Conspué, menacé de mort pendant des années pour avoir été l'artisan de l'abolition de la peine capitale en France en 1981, avocat, universitaire et ancien ministre de la Justice, Robert Badinter s'est forgé une réputation d'humaniste indépendant, menant avec persévérance des combats difficiles souvent à contre-courant de l'opinion.
Né à Paris en 1928, cet homme mince et élégant, au visage marqué par d'épais sourcils noirs, ami fidèle de François Mitterrand, avait en effet réussi à convertir ses victoires judiciaires en réforme politique.
Ainsi, l'abolition fait partie du programme de la gauche aux élections de mai 1981. François Mitterrand, élu président de la République, le nomme ministre de la Justice en juin 1981 et trois mois plus tard, il obtient du parlement l'abolition de la peine de mort.
Habité depuis toujours d'un « besoin de justice », cet agrégé et professeur de droit, écrivain et brillant avocat d'affaires fit ainsi de la France un pays où le sang ne coule plus dans les cours des prisons.
Il fallut par la suite une quinzaine d'années pour que les passions s'apaisent et que l'opinion publique comprenne que la peine capitale est un châtiment inutile, dégradant et en rien dissuasif.
« Tout enfant déjà, je classais les choses en "c'est juste", ou "ce n'est pas juste" », se souvient-il. Ce besoin de justice avait probablement pris ses racines dans les épreuves d'une adolescence de jeune juif de 14 ans, marqué par la mort de son père au camp de concentration de Sobibor.
Jusqu'à l'éclatement de la guerre, ce fils d'un fourreur venu de Bessarabie - l'actuelle Moldavie - et naturalisé français en 1928, avait mené une vie de garçon de la petite bourgeoisie.
A la Libération et après la déportation de bien des siens, il rejette la haine justicière, cette même haine qu'il retrouvera plus tard dans la foule applaudissant la condamnation de Claude Buffet et Roger Bontems.
Il n'a jamais pu oublier ces six procès à la fin des années 70, au cours desquels il avait réussi à éviter la peine de mort : « On entrait au palais de justice par la grande porte, et après le verdict, lorsque l'accusé avait sauvé sa tête, il fallait s'en aller bien souvent par un escalier dérobé » pour éviter la colère de la foule.
En 1972, Robert Badinter se charge de la défense de Roger Bontems, jugé avec Claude Buffet pour le meurtre d'un surveillant et d'une infirmière de la centrale de Clairvaux (Aube). Il échoue à sauver la tête de son client, dont les jurés admettent pourtant qu'il n'avait été que complice de Buffet et qu'il n'avait pas de sang sur les mains.
Dans la cour de la prison de la Santé, en voyant mourir Bontems sur l'échafaud, il ressent une profonde culpabilité et passe « de la conviction intellectuelle à la passion militante », comme il l'écrit dans son livre « l'Abolition » (Fayard).
En 1977, il défend Patrick Henry, assassin d'un petit garçon de sept ans et promis par l'opinion à l'exécution. Il fait témoigner des experts chargés d'expliquer aux jurés le fonctionnement de la guillotine. « Choisirez-vous de couper vivant un homme en deux ? », leur demande-t-il enfin. Les jurés répondront par la négative. C'est sa première grande victoire contre la « veuve noire ».
Profondément à gauche, ce défenseur de la République et d'une France « au service des libertés et des droits de l'homme » fait ensuite voter la suppression des quartiers de haute sécurité dans les prisons, des juridictions d'exception, la dépénalisation de l'homosexualité, l'accès des justiciables français à la Cour européenne des droits de l'homme et une loi sur l'indemnisation des victimes d'accidents de la route.
Il instaure des peines de substitution à la prison, tout en se battant pour une amélioration des conditions de détention. Beaucoup de réformes qui lui valent d'être violemment stigmatisé, tout en renforçant sa stature d'homme de conviction.
En 1983, il obtient l'extradition de l'ancien chef de la Gestapo à Lyon, Klaus Barbie, réfugié en Bolivie.
Après cinq années à la Chancellerie, Robert Badinter est nommé en 1986 président du Conseil Constitutionnel et réussit en neuf ans et quatre alternances politiques à l'ériger en institution incontournable de la République.
Sénateur du PS pour les Hauts-de-Seine depuis 1995, il témoigne en 2000 de nouveau d'une grande indépendance en s'exprimant pour la libération de Maurice Papon, condamné pour crimes contre l'humanité, au grand dam d'une partie de son propre camp politique.
Après avoir eu en 2007 la satisfaction de voir enfin l'abolition de la peine de mort inscrite de manière irréversible dans la Constitution, ce militant infatigable s'investit aujourd'hui et jusqu'à son « dernier souffle de vie » pour l'abolition universelle.