Le dernier acte du procès de Patrick Henry
Jugé pour l'enlèvement et le meurtre du petit Philippe Bertrand, Patrick Henry échappera à la guillotine et sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, après une vibrante plaidoirie de son avocat, Robert Badinter, contre la peine de mort.
Voici le texte de la dépêche AFP diffusée le 20 janvier 1977 sous la signature de Jean-André Basset.
TROYES, 20 janvier (AFP) - Le dernier acte du procès de Patrick Henry, jugé par les assises de l'Aube pour le meurtre d'un enfant de 7 ans, le petit Philippe Bertrand, qu'il avait enlevé dans le but de toucher une rançon d'un million de francs, s'est achevé à 16H45.
Il s'est achevé sur un plaidoyer pour l'homme dont on a dit qu'il était « le plus détesté de France ». La voix de la défense s'est en effet fait entendre en dernier, juste avant que le rideau ne soit tiré. Celui-ci ne se relèvera plus désormais que pour la dernière réplique : l'énoncé du verdict.
Tendu, blême, Me Robert Badinter devait prononcer une vibrante plaidoirie toute empreinte de passion qui a été écoutée par les jurés sans qu'ils n'aient rien laissé transparaître de leurs sentiments ou de leur conviction profonde, et par Patrick Henry, sans qu'il se départisse un seul instant de son impassibilité.
Me Badinter devait tout d'abord rappeler que quatre ans plus tôt, dans cette même salle d'audience, il avait défendu l'accusé Roger Bontems. « J'ai le souvenir, a-t-il dit alors, au petit matin où, dans la cour de la prison de la Santé, je l'ai accompagné à l'échafaud. J'en ai gardé du dégoût et de la honte. Et j'ai compris. C'est pour cela qu'aujourd'hui je veux vous dire, Messieurs les jurés, que dans la décision que vous allez prendre, vous êtes seuls, absolument seuls, à être concernés. C'est vous qui déciderez. Car je ne crois ni à la cassation, ni à la grâce présidentielle. Vous avez, vous seuls, le droit de vie et de mort ».
On entend alors dans la salle d'audience les sanglots de la mère de Patrick Henry.
Me Badinter en vient à l'évocation de l'affaire. Mais il plaidera assez rapidement le dossier.
La mort de l'enfant, elle n'était pas dans le projet de Patrick Henry lorsqu'il a enlevé le petit Philippe Bertrand. D'ailleurs, ni la chambre d'accusation, ni la Cour de cassation, n'ont retenu la préméditation. Ce qu'il avait prémédité, c'était de garder l'enfant dans la chambre qu'il avait louée à la pension des Charmilles. Et puis, il est arrivé « quelque chose » d'imprévu : le contretemps des Bréviandes. La panique, le meurtre impulsif, sans raisonnement.
Pour expliquer le comportement de l'accusé, son défenseur a dit : « Il y a en Patrick Henry *quelque chose...quelque part...* qui échappe à la norme. Alors peut-on être sûr qu'il est *normal* comme l'ont conclu les psychiatres. Il y a un blocage en lui. Il ne peut rien exprimer. Faut-il le tuer pour cela ? »
« Messieurs les jurés, on vous demande de le tuer sans que vous sachiez avec certitude s'il n'y a pas en lui une anomalie cachée ».
Mais la phrase la plus émouvante de la plaidoirie de Me Badinter a été celle qu'il a consacrée au problème de la peine de mort. Le défenseur a rappelé les témoignages du Pr Lwoff, prix Nobel de médecine, qui a fait part à la cour d'assises de ses scrupules, tant moraux que scientifiques, le témoignage du Pr Léauté, directeur de l'Institut de criminologie, qui a affirmé que la peine de mort n'avait aucune valeur d'exemplarité ni influence régressive sur la criminalité, le témoignage du Dr Roumageon qui a dit que la peine de mort ne servait à rien, le témoignage de l'abbé Clavier, aumônier de la prison de la Santé, qui a dit que l'horreur ne devait pas répondre à l'horreur. Et l'avocat s'est écrié : « En même temps qu'on réclame la peine de mort, on réduit le budget de prévention du crime, à travers les crédits alloués à la justice. Il ne faut pas croire que parce qu'on *liquide* un criminel, on en a fini avec le crime ».
L'exhortation finale du défenseur était adressée aux jurés : « N'allumez pas les fagots du feu de la colère. La justice, est-ce la douleur des parents du petit Philippe Bertrand ajoutée à la douleur des parents de Patrick Henry si vous le laissez guillotiner ? »
« La mort d'un homme de 22 ans pour répondre à la mort d'un enfant de 7 ans, ce n'est pas la justice. C'est autre chose. Car la justice ne tue pas. Ou alors elle n'est plus rien, elle est vaincue ».
Regardant les jurés bien en face, l'un après l'autre, Me Badinter leur a adressé cette dernière supplique : « Si vous décidez de tuer Patrick Henry, c'est chacun de vos visages que je reverrai au petit matin, à l'aube. Et je me dirai que c'est vous qui avez décidé. Ou un jour, vous direz à vos enfants que vous avez condamné un homme à mourir. Vous verrez alors leur regard... »
Auparavant, le second défenseur de Patrick Henry, Me Rocquillo, bâtonnier du barreau de Chaumont, avait demandé aux jurés de ne pas se laisser entraîner par la passion et par la campagne de haine qui a entouré cette affaire.
« Il a régné ici, tant à l'époque de la douloureuse affaire qu'au moment du procès, une affreuse odeur de sang. Celle du sang de la victime et celle du sang de l'accusé. Un enfant est mort. La mort de celui qui l'a tué ? Je ne sais pas si ce sera faire justice. Mais cela n'enlèvera rien à la douleur des parents de la petite victime ».