La « carrière » de la guillotine

 

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Fernand Meyssonnier, ancien bourreau, explique le fonctionnement de la guillotine en 2002 - Gerard Julien - AFP
Fernand Meyssonnier, ancien bourreau, explique le fonctionnement de la guillotine en 2002. Gerard Julien - AFP

Lorsque la loi impose la guillotine en 1791 comme seul mode de mise à mort autorisé, excepté pour les militaires, les émeutiers ou les espions, elle supprime une justice particulièrement imaginative pour assurer le spectacle fort apprécié de la mise à mort.

La roue, l'écartèlement, la pendaison par diverses parties du corps, le bûcher, la décollation, la noyade, la fusillade ou l'enterrement vivant, voire la crucifixion; tout avait été imaginé depuis des siècles et assorti de quelques raffinements propres à assurer une souffrance maximale.

Durant près de quatre cents ans, du XIIIe au XVIIe siècles, voleurs, faussaires, faux-monnayeurs ou hérétiques ont été brûlés vifs ou jetés dans une marmite d'eau bouillante à deux pas du théâtre de la Comédie française. Dernière exécutée à cet endroit, une dame Bary, veuve d'un procureur, a été pendue le 24 janvier 1662 pour des empoisonnements.

Jusqu'en 1832, les régicides étaient punis de la peine des parricides, amputés d'une main, la tête recouverte d'un voile noir, avant d'être décapités.

« Le blasphémateur a la langue fendue, ou brûlée au fer rouge s'il est récidiviste, écrit l'historien Jean Favier en 1997. Le voleur se voit couper une main, ou les deux, s'il n'est pas pendu comme irréductible. Le faux-monnayeur est bouilli dans une chaudière. L'empoisonneuse et la sorcière sont brûlées sur un bûcher. La voleuse est enfouie dans un tas de sable (...). Le grand criminel, celui qui a comploté contre le roi, est traîné par la ville à la queue d'un cheval, puis disloqué et exposé par morceaux. On s'étonne en 1445 de voir crucifier une voleuse d'enfant qui a crevé les yeux de sa victime afin d'en faire un meilleur mendiant... »

Ainsi, le parlement de Paris, le 27 mai 1610, condamne-t-il François Ravaillac à être écartelé pour l'assassinat du roi mais aussi à être « tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes » , brûlé « de feu de soufre... » Et « sur les endroits où il sera tenaillé » le bourreau versera « du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix brûlante, de la cire et soufre fondus ensemble... »

Le 1er juin 1791, l'Assemblée referme ce catalogue et décide que « tout condamné à mort aura la tête tranchée ». Elle adopte ainsi la proposition du député Lepeletier de Saint-Fargeau, inspiré par Guillotin. La décapitation, jusque-là était une mort noble, réservée aux nobles, alors que l'on pendait les roturiers. Mais en 1789, Guillotin, député du Tiers-Etat, a proposé que les mêmes crimes soient punis des mêmes peines quel que soit le rang du coupable.

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Guillotine à la prison de Fresnes en 1981 - Michel Clement - AFP
Guillotine à la prison de Fresnes en 1981. Michel Clement - AFP

En 1791, commence donc le règne de la « guillotine ». En 1788 déjà, Louis-Sébastien Mercier évoquait le « couperet imaginé par le Dr Guillotin afin que l'on ne voie plus le bourreau frapper dix fois de sa hache avant de parvenir à ses fins » .

En réalité, la machine à décapiter a seulement été mise au point par le docteur-député Guillotin en 1789 et par son ami le Dr Louis, secrétaire perpétuel de l'Académie de chirurgie. Car on la connaît depuis longtemps. Elle a été décrite avec détail en 1730 dans le « Voyage en Espagne et en Italie » du père Labat.

Le 17 avril 1792, les Drs Louis et Guillotin, entourés de la hiérarchie de l'administration pénitentiaire, testent avec le bourreau Sanson « la machine à couper la tête aux criminels condamnés à mort » , comme on dit à l'époque. On « guillotine » trois cadavres dans la cour de la prison de Bicêtre. Huit jours plus tard, Jacques Pelletier, condamné pour vol avec violence est décapité place de Grève avec l'instrument que l'on appelle aussi « la Louison » ou « la Louisette » , par plaisanterie avec le nom du Dr Louis.

Quatre mois plus tard, la guillotine entame une extraordinaire carrière révolutionnaire. Erigée au Carrousel du Louvre, elle coupe sa première tête pour une raison politique. Louis David Collot d'Angremont, secrétaire de la Garde nationale, soupçonné d'être royaliste, est décapité le 21 août 1792.

Avant d'être rendue à la justice de droit commun, la guillotine aura, sous la Terreur puis la contre-Terreur, assuré des milliers d'exécutions.

Plusieurs centaines de personnes seront par la suite guillotinées jusqu'à l'abolition de la peine de mort. Les statistiques présentent, d'une année à l'autre, des chiffres très variables. Ainsi, de 1825 à 1838, selon le quotidien spécialisé de l'époque, La Gazette des Tribunaux, le nombre de condamnations à mort a suivi une courbe descendante. 134 exécutés en 1825, 150 en 1826, 109 en 1827, puis 114, 89, 92, 108, 74, 42, 25, 54, 30, 33, 44. Après l'épisode de la Commune de Paris en 1871 et ses nombreux fusillés, exécutés sommairement pour beaucoup, environ 830 condamnés ont été exécutés jusqu'au dernier guillotiné, en 1977.

On marquera principalement deux pauses sous la Troisième République lorsque les présidents Jules Grévy (1879-1887) et Armand Fallières (1906-1913), abolitionnistes convaincus, useront très fréquemment de leur droit de grâce. Souvent poussés par l'opinion, Grévy n'autorisera que 49 exécutions en sept ans et Fallières 43.