Enterré sous le signe de l'épée et de la croix
Extraits de dépêches publiées par l'AFP le 23 novembre 1975, lors des obsèques de Franco.
Madrid a rendu, hommage, ce dimanche 23 novembre, au généralissime sur l’immense place d’Orient, en présence de dizaines de milliers de personnes inconsolables.
Une messe, qui s'est déroulée par une matinée froide et ensoleillée, a été célébrée par le cardinal archevêque de Tolède et primat d’Espagne, Mgr Gonzalez Martin. Quarante ans d’histoire de l'Espagne prenaient définitivement fin.
Dès l’arrivée du cercueil, drapé de noir et recouvert du drapeau espagnol, rouge et or, et sur lequel étaient posés le bâton de « capitaine général » (maréchal) et son bicorne, la foule a scandé « Franco, Franco », en agitant des milliers de mouchoirs blancs.
Porté par huit hommes de la garde personnelle de Franco, doublés par huit militaires représentant les diverses armes, le cercueil a été déposé devant l’autel dressé en plein air.
Le roi Juan Carlos 1er et la reine Sofia se tenaient sous un dais d’or à franges d’argent placé à la gauche du cercueil. En face, se trouvaient l'épouse du caudillo, Dona Carmen, son frère Nicolas Franco, sa fille et son gendre, le marquis de Villaverde et le duc et la duchesse de Cadix, tous membres de sa famille.
Un défilé de 300.000 personnes
Dans son homélie, Mgr Gonzalez Martin a déclaré : « Cet homme portait l’épée. Aujourd’hui, il n’aura plus sur sa tombe que la compagnie de la croix. Ces deux symboles illustrent un demi-siècle de l'histoire de notre patrie ».
Cette messe, diffusée par haut-parleurs, faisait suite à cinquante heures d’un défilé ininterrompu de plus de 300.000 personnes qui se sont recueillies quelques secondes chacune devant la dépouille du général, exposée dans la salle des colonnes du palais d’Orient.
Le défilé a pris fin au petit matin et tous ceux qui étaient venus ont pu, malgré leur nombre, passer devant le cercueil qui avait été déplacé dans la nuit et installé dans une salle plus grande pour permettre un écoulement plus rapide de la foule. Plusieurs personnes se sont évanouies en raison du froid et ont dû être emmenées par des brancardiers de la Croix rouge.
Au moment où la messe a pris fin, le cercueil a été déposé sur un véhicule spécial du Génie. Des femmes, des hommes pleuraient sans chercher à cacher leurs larmes, tandis que d’autres faisaient le salut phalangiste, le bras tendu.
Lorsque le roi s’est levé pour suivre le cercueil, quelques timides « Viva el Rey » se sont élevés d’une foule qui visiblement songeait davantage à pleurer le caudillo qu’à acclamer son nouveau souverain.
Un défilé de troupes des trois armes, fusiliers marins, aviateurs et fantassins, a précédé le départ de la dépouille du général Franco pour la basilique proche de la capitale de la « Valle de los caidos » (construite entre 1940 et 1958 par 15.000 travailleurs forcés du camp républicain.)
A côté de Primo de Rivera
Le véhicule du Génie était escorté par un escadron de la garde à cheval du caudillo dont les uniformes rutilants – cape blanche, casque d’argent et lance au poing - brillaient au soleil. Une escadrille de chasseurs à réaction a survolé le défilé.
Debout dans sa voiture découverte, en grand uniforme de chef des Forces armées, le roi a emprunté le trajet menant à la crypte souterraine de la Vallée de ceux qui sont tombés.
Derrière la limousine royale, suivait un long cortège de voitures noires transportant les membres de la famille, du gouvernement, avec à leur tête le président du gouvernement, Carlos Arias Navarro. Sur le passage du cortège, des dizaines de milliers de personnes s’échelonnaient le long des avenues.
Creusée dans la roche au bout d'une route bordée de pins, la basilique de la « Valle de los caidos » abrite également sous sa coupole sombre la tombe de José Antonio Primo de Rivera, fondateur du parti nationaliste de la Phalange.
Ce monument religieux a été commandé par Franco pour rendre hommage aux « héros et martyrs de la Croisade », c'est-à-dire les nationalistes morts pendant la guerre civile.
En 1958, le gouvernement espagnol décida d'en faire un mausolée pour l'ensemble des combattants morts de la guerre civile y compris les combattants républicains, pourvu qu'ils fussent catholiques.
Le 27 novembre, de très nombreuses personnalités étrangères, dont les présidents français Valéry Giscard d'Estaing et allemand Walter Scheel ou le vice-président américain Nelson Rockefeller assisteront au couronnement du jeune Juan Carlos.
Mais seuls quatre dignitaires étrangers étaient venus à Madrid, le 22, rendre un dernier hommage à Franco : le dictateur chilien Augusto Pinochet, le roi Hussein de Jordanie, l'ex-roi Constantin de Grèce et le prince Rainier de Monaco.
(Ndr : dans un ouvrage collectif publié en 2015, « Quarante ans avec Franco », l’historien Borja de Riquer écrit que cet enterrement « a généré des sentiments contradictoires : profonde douleur des uns, soulagement des autres, grande inquiétude de tous, alors que commençait une nouvelle étape historique pleine d’inconnues ».
Il rappelait que les dernières années du franquisme avaient été marquées par une très vive agitation sociale, la multiplication des grèves et la mobilisation contre le régime de nombreux étudiants universitaires. Et, selon un sondage réalisé juste après la mort de Franco, 70% des Espagnols souhaitait l'avènement du suffrage universel).