L'art contemporain contre Franco
Par Daniel SILVA
Une jeune génération d'artistes Espagnols s'est récemment attaquée à Franco, suggérant qu'il occupait encore aujourd'hui l'esprit de nombreux Espagnols.
« Il continue d'être présent, il n'a pas disparu », expliquait en 2012 Eugenio Merino.
Cette année-là, il a exposé l'oeuvre sans doute la plus spectaculaire du salon d'art contemporain de Madrid : Franco dans un réfrigérateur, en uniforme militaire, affublé de lunettes de soleil noires.
Réalisée en résine, silicone et avec de vrais cheveux, « Franco toujours », représentait « l'idée que les Espagnols vivent avec l'image d'un Franco toujours vivant », assurait Merino.
« On ne cesse de parler de lui, de débattre sur lui. Un frigo, c'est un lieu où les choses restent en vie et fraîches », commentait-il, en référence à l'affaire Garzon.
Le magistrat Espagnol Baltasar Garzon venait alors d'être acquitté après un procès très polémique, où il était jugé pour avoir enquêté sur les disparus du franquisme, dans un pays où les plaies de cette période restent à vif.
A l'initiative de deux organisations d'extrême-droite, il était poursuivi pour avoir enfreint la loi d'amnistie votée par le Parlement Espagnol en 1977, en ouvrant une instruction en 2008 sur le sort de plus de 100.000 personnes portées disparues pendant la Guerre civile (1936-39) et le franquisme (1939-75).
« La répression a été si grande et la dictature a duré si longtemps que les gens ont fini par aimer la personne qui avait pris leur liberté. Ma génération a une perspective plus archéologique, plus critique », a renchéri de son côté l'artiste Fernando Sanchez Castillo.
Passionné par la période de la dictature, ce dernier a acheté l'ancien yacht de Franco, l'Azor, et l'a découpé en morceaux pour en faire des sculptures.
L'artiste de 41 ans est également parvenu à se procurer deux poils des sourcils du dictateur auprès d'un homme qui avait fait un moule du visage du caudillo. Ils ont été exposés au salon dans un sac en plastique transparent accroché au mur derrière une loupe.
Pour lui, ses sculptures et les sourcils montrent comment l'Espagne est devenue « une dictature des marchés où tout s'achète et se revend ». Un peu plus loin, toujours au salon d'art contemporain de Madrid, une sculpture de la tête de Franco tourne à toute vitesse sur un socle, le rendant méconnaissable.
- « offense » à Franco -
« Cela montre comment Franco est toujours présent même si on ne peut plus le voir », expliquait Sanchez Castillo, faisant allusion à la loi de 2007 sur la mémoire historique qui a ordonné le retrait de tout symbole en l'honneur de Franco.
Mais, malgré cette loi destinée à réhabiliter les victimes, les plaies de la dictature restent à vif. La Fondation Franco, chargée de préserver l'héritage du dictateur, a annoncé qu'elle allait engager des poursuites contre Merino et les organisateurs de ce salon.
« Cette oeuvre génère la haine et l'affrontement », a déclaré le vice-président de la fondation, Jaime Alonso.
D'autres artistes comme Paula Rubio Infante, 34 ans, ont trouvé l'inspiration dans la souffrance de leur famille pendant la dictature, de la fin de la guerre civile à la mort du général.
« Nous sommes la dernière génération qui a la possibilité d'écouter les témoignages directs des gens qui ont souffert du régime, de nos parents et grands-parents », soulignait l'artiste. Pour elle, « il est important de continuer à alimenter la mémoire collective ».
Merino a persévéré : en 2013, il a présenté lors d'une expo une tête en silicone quasi-réelle de Franco trônant sur le pied d'un punching-ball. « Tu peux te défouler parce que tu ne pourras pas obtenir autre chose en Espagne », se désole-t-il à propos de ce « Punching Franco ». Il a affronté une nouvelle plainte de la Fondation Franco.
Entretemps, la Fondation avait perdu son procès contre « Franco toujours ». La juge avait estimé que l'oeuvre « n'altérait pas la réputation ou la mémoire du personnage historique mais constituait une oeuvre critique qui appelle à la réflexion ».