Du Pardo à la Zarzuela
Par Roland-Pierre PARINGAUX
Dépêche diffusée par l'AFP le 21 novembre 1975.
MADRID, 21 nov (AFP) - Après le départ, vendredi matin 21 novembre, de la dépouille mortelle du général pour le palais d'Orient, le palais du Pardo, centre politique de l'Espagne depuis près de 40 ans, cessera d'être synonyme de pouvoir absolu.
Un palais remplaçant l'autre, le centre du royaume et peut-être d'un nouveau régime sera à partir de samedi « la Zarzuela », la résidence du prince Juan Carlos de Bourbon.
Pendant deux jours, le corps embaumé du caudillo reposera dans la chapelle ardente de la salle des colonnes du palais d'Orient, au cœur de Madrid, comme il y a près d'un siècle celui du roi Alphonse XII, mort en 1885.
Depuis cette date, et jusqu'à mercredi matin, aucun chef d'Etat espagnol n'était mort dans l'exercice de ses fonctions.
Le palais, où pendant 48 heures le peuple est invité à venir rendre un dernier hommage au caudillo, borde la place d'Orient où Franco avait reçu l'appui de plusieurs centaines de milliers d'Espagnols le 1er octobre dernier, après les réactions violentes et les critiques suscitées à l'étranger par l'exécution des cinq militants antifranquistes.
Ce fut la dernière apparition publique et le dernier bain de foule du caudillo. C'est sur cette même place qu'en 1946, après la décision du blocus prise par les Nations Unies contre l'Espagne, la foule était déjà venue manifester son soutien à Franco, déjà aussi contre l'« ingérence étrangère ».
Jusqu'à sa mort, l'attachement de Franco à l'héritage du royaume des Bourbons fait ressortir le caractère unique d'un régime nouveau où les références à la monarchie sont constantes et qui culmine par l'instauration d'une monarchie nouvelle, reposant sur les lois fondamentales du « mouvement », mais qui du fait du retour d'un Bourbon sur le trône d'Espagne a des airs de restauration.
Le prince est tenu par les institutions qui lui ont été imposées et qu'il a acceptées. Mais dans le domaine de la famille royale il peut redonner, à l'intérieur même des institutions du franquisme, un éclat, voire une influence politique particulière à la maison des Bourbons.
En effet, quelques heures à peine après la mort de Franco, l'un des premiers actes du conseil de régence a été de promulguer un décret-loi rétablissant le registre civil de la maison royale, aboli en 1931 par la seconde République.
Au terme de ce décret-loi on devrait connaître prochainement les décisions du roi en ce domaine.
On attend déjà avec curiosité de savoir sous quelle forme et avec quels titres figurera notamment le père de Don Juan Carlos, Don Juan de Bourbon, comte de Barcelone, qui a toujours affirmé être l'héritier de la ligne dynastique des Bourbons d'Espagne, sans toutefois s'opposer ouvertement à l'accession de son fils au trône.
Mais, avant toute réorganisation de la maison royale, de ses titres et de ses fastes, il devra avant toute chose s'efforcer de rétablir le prestige de la monarchie qui a disparu des institutions du pays depuis 44 ans.
Et pour cela, chargé du difficile héritage d'une Espagne marquée profondément par « l'ère de Franco », s'élever au-dessus des partis pour éviter à tout prix que les problèmes politiques à venir ne déprécient l'image de la monarchie.
Pour accomplir cette tâche, estime-t-on généralement, le roi devra adapter la monarchie aux réalités afin de pouvoir éventuellement l'insérer dans la famille de celles qui subsistent aujourd'hui en Europe, en tenant compte d'abord des réalités économiques et sociales.