Une transition démocratique réussie

Par Claude CASTERAN

 

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Franco et Juan Carlos à Madrid en octobre 1975 - AFP
Franco et Juan Carlos à Madrid en octobre 1975 - AFP

A la mort de Franco, le roi Juan Carlos prend les rênes du pays. Huit mois plus tard, en juillet 1976, il nomme Adolfo Suarez, 43 ans, à la tête du gouvernement.

« Ils s'entendaient merveilleusement bien, de par leur projet politique, leur âge et leur façon d'être », devait commenter plus tard la reine Sofia.

Le mandat de M. Suarez est ratifié dans les urnes aux premières élections démocratiques organisées après la dictature, le 15 juin 1977. Il s'y présentait en tant que chef de file du parti centriste Union du centre démocratique (UCD).

C'est sous son gouvernement que sont ensuite adoptées les principales réformes qui permettront à l'Espagne de passer de la dictature à la démocratie : légalisation de tous les partis, y compris autorisation controversée du Parti communiste, en avril 1977, amnistie des prisonniers politiques et rédaction, puis approbation par référendum, en décembre 1978, de la constitution.

« La constitution ne règlera pas nos problèmes, mais nous serons tous les protagonistes de notre histoire », disait-il.

A partir de 1979, la popularité de M. Suarez s'effrite, plombée par la crise économique, l'agitation des militaires, la question de l'autonomie des régions et l'action violente du groupe indépendantiste basque ETA.

« La période de la transition est terminée. En deux ans, nous avons transformé un système autoritaire en une démocratie pluraliste », assure-t-il alors.

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Adolfo Suarez à Paris en août 1977 - AFP
Adolfo Suarez à Paris en août 1977 - AFP

En dépit de sa seconde victoire électorale en mars 1979, il démissionne par surprise en janvier 1981, acculé par les tensions internes à son parti et privé du soutien du roi.

M. Suarez est mort en 2014 des suites de la maladie d'Alzheimer. A cette occasion, l'Espagne a organisé des funérailles d'Etat en présence de représentants étrangers, dont le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. « Il a servi les Espagnols avec droiture et force dans l'un des moments les plus cruciaux et les plus délicats », a déclaré dans son homélie l'archevêque de Madrid, Antonio Maria Rouco Varela.

Coup d'Etat raté

En février 1981, un garde civil moustachu fait irruption dans les Cortes, en plein débat.

Tricorne sur la tête et revolver au poing, le lieutenant-colonel Antonio Tejero ordonne aux députés de s'asseoir et de se taire : c'est la fameuse tentative de coup d'Etat du 23 février.

L'Espagne, à peine sortie de la dictature franquiste, va-t-elle repasser sous le joug des militaires?

Durant 17 longues heures, le pays retient son souffle, sous le regard du monde entier. Tejero et une poignée de soldats tiennent en otages les députés. D'autres militaires occupent la radio-télévision à Madrid.

Les médias attendent les réactions des 11 régions militaires d'Espagne, toutes commandées par des généraux qui ont mené la guerre civile de 1936-39 aux côtés de Franco.

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Valéry Giscard d'Estaing, Juan Carlos et Adolfo Suarez à Madrid le 28 juin 1978 - AFP
Valéry Giscard d'Estaing, Juan Carlos et Adolfo Suarez à Madrid le 28 juin 1978 - AFP

Mais, seul, le vétéran Jaime Milans del Bosch lance ses chars dans les rues de Valence, troisième ville du pays, où un couvre-feu a été décrété.

Les autres généraux hésitent, jusqu'à ce qu'en pleine nuit le roi Juan Carlos, en grand uniforme de chef des armées, apparaisse à la télévision et demande à tous de rester fidèle à la constitution de 1978.

Juan Carlos, alors âgé de 43 ans, va passer la nuit à téléphoner aux militaires afin de les adjurer à renoncer à se joindre au soulèvement, gagnant ainsi son image de défenseur de la démocratie et la forte popularité dont il a joui auprès des Espagnols.

La tentative de coup d'Etat, passée dans l'histoire de l'Espagne sous le nom de « 23-F », est morte.

Derrière Tejero, figure caricaturale du putschiste, apparaissent les généraux Milans del Bosch et Alfonso Armada, qui devait « au nom du roi » prendre la tête d'un gouvernement militaire chargé de « redresser » le processus de transition démocratique.

33 personnes passeront en justice. Tejero sera condamné à 30 ans de prison. Incarcéré à la prison d'Alcala de Henares, il bénéficia d'un régime ouvert dès 1993 et fut libéré sous le régime de la liberté conditionnelle en 1996.

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Le 4 décembre 1977, François Mitterrand et Felipe Gonzalez à Paris - AFP
Le 4 décembre 1977, François Mitterrand et Felipe Gonzalez à Paris - AFP

Des peines équivalentes frappent Milans del Bosch, libéré en 1990 et décédé en 1997, et Armada, réputé pourtant proche du roi et cerveau de la tentative de putsch. Armada, qui a toujours nié avoir été à la tête du complot, a été gracié en 1988, pour raisons de santé. Il est mort en 2013.

Le « 23-F » est finalement devenu un symbole : celui de la consolidation définitive de la jeune démocratie espagnole, sous l'autorité d'un roi qui a su imposer à l'armée sa fidélité à la constitution.

Le socialiste Felipe Gonzalez sera ensuite président du gouvernement durant quatre mandats (de 1982 à 1996).

C'est lui qui dirigera le pays lors de l'adhésion à la Communauté européenne. Modernisant le pays, il sera un des grands promoteurs de l'Expo universelle de Séville et des J.O. de Barcelone, en 1992. L'Espagne va rattraper son retard à marche forcée.

 

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Portrait de Juan Carlos - INA

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