Dans les années 1980, les débuts des pirates

Par Phillipe Sauvagnargues
Internet a eu ses pionniers, les pirates informatiques aussi, révélés au grand public en 1983 aux Etats-Unis, alors pourchassés par le FBI.
Les premiers hackers se révèlent être des bandes d'adolescents aux noms folkloriques. Le groupe des « 414 » - comme le code téléphonique de Milwaukee dans le Wisconsin, où ils résident - ou encore le « Cercle des initiés », dont faisait partie « le sorcier de l'ARPANET », forcent les sécurités des premiers réseaux informatiques depuis leur chambre chez papa-maman.
Les évènements, qui révèlent les failles béantes des systèmes informatiques et l'absence de législation dédiée, sont relatés dans une longue dépêche du bureau de Washington en octobre 1983.
Le FBI déclare la guerre aux pirates d'ordinateurs
WASHINGTON, 16 octobre 1983 (AFP) - Le FBI vient de partir en guerre contre les pirates d'ordinateurs, une nouvelle génération de « délinquants » qui semble se recruter surtout chez les adolescents.
Au cours des derniers mois, plusieurs groupes de jeunes pirates ont fait beaucoup parler d'eux aux Etats-Unis et sèment un vent d'inquiétude parmi les utilisateurs de l'informatique.
Leur passe-temps favori consiste à s'introduire par effraction, grâce à leurs propres ordinateurs domestiques, dans les mémoires de centres informatiques un peu partout dans le pays.
Le FBI (sûreté fédérale) a lancé à la fin de la semaine toute une série de perquisitions dans plusieurs villes des Etats-Unis et procède à de nombreuses saisies après avoir démasqué plusieurs groupes de « visiteurs d'ordinateurs ».
A Irvine (Californie), les domiciles de quatre adolescents ont ainsi été fouillés et les agents fédéraux y ont saisi pour plusieurs milliers de dollars de matériel électronique.
Des « raids » similaires ont aussi eu lieu notamment à Tucson (Arizona), Oklahoma City, Rochester (New York), et Detroit (Michigan).
Dans cette dernière ville, selon la presse locale, le chef d'un petit groupe composé de jeunes gens de 14 à 17 ans, s'était baptisé « le sorcier de l'ARPANET » du nom d'un réseau de communications informatique utilisé par le Pentagone, qu'il se vantait d'avoir réussi à pénétrer.

Les autorités n'ont pas donné de détails sur les activités de ce groupe et n'ont pas davantage révélé l'identité de ses membres. Mais la mère d'un des jeunes gens, Mme Sharon Stadjas, a indiqué que les agents venus saisir le matériel de son fils Eric lui avaient dit enquêter notamment sur des intrusions dans des ordinateurs au célèbre Massachusetts Institute of Technology, au centre de recherche nucléaire de Los Alamos (Nouveau Mexique) et à la base aérienne de McClellan en Californie.
Toujours selon Mme Stadjas, le FBI soupçonne son fils d'être entré par effraction dans plusieurs ordinateurs utilisés par le département de la Défense et « d'y avoir effacé ou modifié certaines informations et laissé des messages ».
« Ils disent, ajoute-t-elle, que mon fils avait une liste de plus de vingt pages d'ordinateurs de la Défense et de mots de passe pour y pénétrer ».
Un peu abasourdie par les conséquences du « hobby » de son fils, la mère de famille explique qu'il n'avait aucune intention de nuire et faisait cela « pour la beauté du geste ».
Des responsables du département de la Défense ont précisé que ce réseau de communications est utilisé par des chercheurs militaires et civils travaillant pour le département de la Défense, mais que les ordinateurs qui y sont rattachés ne renferment pas d'informations secrètes.
En Californie, les jeunes gens visés par les perquisitions avaient réussi à accéder à un réseau commercial de courrier informatique appelé telemail.
L'enquête du FBI avait été déclenchée lorsque la compagnie « GTE Communications Corp » avait découvert des « intrus » dans son réseau utilisé par des clients payants.
Les coupables ont expliqué qu'un mystérieux « casseur de code » leur avait fourni le mot de passe. Les informaticiens amateurs communiquent souvent entre eux par ordinateur interposé.
A Seattle, dans l'Etat de Washington, un autre adolescent avait réussi à entrer en contact avec l'ordinateur d'une université recevant des informations météorologiques par satellite et dans la mémoire duquel il avait semé la pagaille.
De source proche du département de la Justice, on précisait à la fin de la semaine que les jeunes informaticiens en herbe pris la main dans le sac n'avaient pas pillé des secrets d'Etat.
Cette mode de l'effraction électronique inquiète toutefois les autorités. Il n'existe pas aux Etats-Unis de loi fédérale prohibant ce genre d'activités mais certains Etats ont déjà pris des dispositions dans ce sens.
Les autorités pourraient toutefois invoquer d'autres motifs d'inculpation pour engager des poursuites contre certains pirates, à titre d'exemple pour décourager les imitateurs.
La vogue de l'effraction électronique, popularisée par le film « Wargames », était apparue au grand jour pendant l'été avec la découverte des activites du groupe des « 414 ».
Ces jeunes gens de Milwaukee, dans le Wisconsin, avaient visité un nombre impressionnant d'ordinateurs dont celui d'un centre de recherche sur le cancer de New York, où leurs manipulations des informations en mémoire auraient pu avoir des conséquences sur le traitement des malades.
Les armes des pirates sont simples : leur ordinateur domestique et un « modem », appareil qui se branche sur le téléphone et permet les communications inter-ordinateurs. Il faut ensuite de la patience, de la chance ou de bons renseignements pour trouver les codes d'accès.
La tâche est le plus souvent facilitée du fait que les ordinateurs visités sont conçus pour permettre l'accès d'utilisateurs autorisés se trouvant parfois à l'autre bout du pays.
Si la majorité des jeunes pirates semble davantage poussée par la curiosité que par la volonté de nuire, la facilité avec laquelle ils se livrent à ce sport met en évidence la vulnérabilité des ordinateurs.
Au-delà du jeu, l'effraction électronique peut en effet aller jusqu'à l'espionnage industriel et militaire en passant par le vol d'informations ou l'escroquerie.