1996 : un cybercafé frondeur étrenne la liberté d'expression sur le net

En janvier 1996, un petit cybercafé de Besançon (Doubs) publie sur internet un livre interdit en librairie, « Le grand secret », sur le long cancer caché par François Mitterrand, soulevant pour la première fois en France la question de la liberté d'expression sur internet.
Le 16 janvier 1996, huit jours après le décès de François Mitterrand, président de 1981 à 1995, sort le livre choc « Le grand secret », édité chez Plon.
Le docteur Claude Gubler, médecin personnel de Mitterrand pendant 13 ans, révèle, documents à l'appui, que l'ex-figure de la gauche a caché aux Français un cancer dès 1981.
Gubler écrit même qu'« à partir de 1994, le président n'était plus capable d'assumer ses fonctions ».
40.000 exemplaires s'arrachent en deux jours, avant que la justice n'interdise sa diffusion pour violation du secret médical et de l'intimité des proches.
- « République bananière » -

Quelques jours plus tard, un petit cybercafé de Besançon (Doubs), le « Web », annonce avoir scanné toutes les pages de l'ouvrage et les avoir postées en ligne, le rendant accessible à tous les internautes.
« Nous, on trouve que cette interdiction est ridicule, alors on le met sur le réseau. On n'est pas dans une république bananière », justifie le patron du cybercafé, Pascal Barbraud.
Quelques heures après, la publication fait un carton, le café fait face à « plus de 100.000 demandes de connexions », une montagne à l'époque, qui fait régulièrement sauter le serveur bisontin, limité par une connexion de 64 kb/s (environ 500 fois plus lent qu'aujourd'hui).
L'épisode révèle la puissance du web pour la liberté d'expression, à une époque où la France est encore peu éveillée aux arcanes d'internet, mais pose la question de la liberté de publication. Peut-on tout partager sans autorisation sur la toile ?
- Casse-tête juridique -

« Un casse-tête juridique » titre l'AFP qui interroge des juristes. D'un côté, le patron du cybercafé s'expose à des poursuites, estiment-ils, notamment pour violation des droits d'auteur. Mais d'un autre côté, une avocate se demande si l'interdiction de diffusion du livre, faite contre les éditions Plon et sur un support papier, s'applique sur internet.
« Nous n'avons jamais été confrontés à ce type de démarche qui s'apparente à du piratage », s'indignent les éditions Plon, dont le contrat avec les auteurs du livre prévoit, selon elles, la protection des droits « sur tout support actuel ou futur ».
Malgré le pied de nez aux droits d'auteur et à l'interdiction de publication, le procureur de Besançon n'est saisi d'aucune plainte et n'entend pas prendre d'initiative, vu la complexité du cas.
« Nous nous sommes engouffrés dans un vide juridique. L'esprit d'internet est contraire à la censure », se félicite Pascal Barbraud sur toutes les chaînes de télévision.
Mais, le 5 février, le matériel du cybercafé est saisi pour une affaire de fournisseur impayé. C'est la fin de l'aventure en ligne du « Grand secret ».