L'ultime adieu à Colombey

 

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Vue aérienne de Colombey le jour des obsèques du général. - AFP
Vue aérienne de Colombey le jour des obsèques du général - AFP

Voici le début du long récit des obsèques du général de Gaulle, signé « des envoyés spéciaux de l'AFP », qui étaient présents ce 12 novembre 1970 à Colombey-les-Deux-Eglises :

COLOMBEY-LES-DEUX-EGLISES, 12 nov (AFP) - La France, c'était aujourd'hui cet humble et vieux village de Colombey-les-Deux-Eglises qui recèlera à jamais les restes de Charles de Gaulle. C'était aussi cette poignée de soldats de l'air, de terre, de mer formant la haie sur le passage du chef mort.

C'était encore, réunis au coude-à-coude autour d'un cercueil drapé de tricolore, la cohorte des Compagnons de la Croix de Lorraine qui, au plus fort de l'épreuve, avaient juré fidélité. La France, c'était enfin cette foule innombrable, envahissante, silencieuse, offrant un seul et même visage : celui de l'affliction et de la ferveur.

Ces obsèques furent telles qu'il les avait imaginées, lui qui en avait réglé l'ordonnance : d'une grande simplicité, mais aussi empreintes de grandeur et de majesté.

Il est 14H45, le vent qui s'est levé, aigre et soufflant en bourrasques, fait frissonner la soie des drapeaux, arrache aux grands arbres de la Boisserie leurs dernières feuilles. Les cloches de Colombey égrènent les notes funèbres du glas. Tous les clochers des alentours leur répondent et les voix de bronze lancent à l'unisson leur même prière vers le ciel.

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Philippe de Gaulle sur la tombe de son père le 12 novembre 1970. - AFP
Philippe de Gaulle sur la tombe de son père le 12 novembre 1970 - AFP

Les deux battants du lourd portail vert sombre s'ouvrent : le général quitte sa demeure pour la dernière fois. Il est là, dans la « bière des pauvres » qu'il a voulue, enveloppé d'un simple drap tricolore frangé d'or, que le vent gonfle par instants. Le cercueil est posé sur un engin blindé de reconnaissance dont la tourelle a été enlevée.

Le véhicule funèbre amorce un virage et s'engage aussitôt dans la rue principale du village, la rue du général de Gaulle. La foule est là, tout de suite, à moins de deux mètres de la dépouille. Grave et silencieuse, elle s'écrase littéralement entre les murs des maisonnettes basses et grises et les barrières métalliques, tout au long du parcours de 400 mètres qui conduit à l'église.

Sur le pas de sa porte, un vieillard se tasse un peu plus sur sa canne essuyant une larme d'un revers de manche. François Machonnet regarde partir le voisin qu'il avait vu arriver au village il y a 40 ans.

L'engin blindé s'avance à faible allure. Derrière, suivent les voitures officielles. Dans la première, abîmée dans son chagrin, sous ses voiles de deuil, se tient Madame de Gaulle. A ses côtés, le général de Boissieu, gendre du disparu et, auprès du chauffeur, le curé de Colombey. Viennent ensuite la générale de Boissieu et ses enfants, Philippe de Gaulle et ses quatre fils, la soeur aînée du général, son aide de camp, son secrétaire, la cuisinière et la vieille bonne de la Boisserie.

La foule se fait plus dense. On note parmi elle une forte proportion de jeunes gens et de jeunes filles. Ce sont eux surtout qui lancent sous les roues du char, qui un bouquet, qui une branche de feuillages, qui une simple rose. Des brancardiers de la Croix-Rouge emportent sur un brancard un capitaine de chasseurs à pied qui, vaincu par la fatigue et l'émotion, s'est effondré.

Le cortège s'engage dans la rue de l'église bordée de vieux tilleuls, dressant leur moignons vers le ciel gris. Pour le général, c'est le dernier de ces « bains de foule » qu'il aimait tant. Il y a là, serrés les uns contre les autres, « les hommes, les femmes de France » que, dans son testament, il a convié à l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure.

Le char funèbre est immobilisé sur la place de l'église où 172 officiers et hommes de troupe rendent les honneurs à celui qui, en s'en allant, clôt l'un des plus beaux chapitres de l'histoire de France. (....)

A la tombée de la nuit, le petit cimetière était complètement submergé par les fleurs que l'on disposait un peu partout sur les autres tombes autour de l'église. Elles ont été envoyées aussi bien par les chefs d'état et de gouvernement, qui se pressaient ce matin à Notre-Dame de Paris, que par des anonymes venus en voiture ou en train apporter leur offrande.

La nuit est tombée. Le défilé va se poursuivre à la lueur des projecteurs. Ce n'est sans doute que très avant dans la nuit que le cimetière et son illustre dépouille retrouveront la paix et le silence.

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Le mémorial Charles de Gaulle, à Colombey - INA