Guinée: Sékou Touré, un dirigeant progressiste devenu dictateur
Portrait de Sékou Touré diffusé à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance de la Guinée, proclamée le 2 octobre 1958.
Sous son impulsion, la Guinée fut la première colonie française en Afrique noire à accéder à l'indépendance.
CONAKRY - 1er octobre 2008 (AFP) - « Père de l'indépendance » et héros tiers-mondiste, le président guinéen Ahmed Sékou Touré a rapidement troqué ses habits de dirigeant progressiste pour devenir un dictateur qui a gouverné d'une poigne de fer pendant 26 ans un pays exsangue.
Il avait pourtant fait une entrée tonitruante dans l'Histoire en défiant le président français, le général Charles de Gaulle, qui venait de revenir au pouvoir après une longue « traversée du désert ».
Conakry, 25 août 1958. Le général de Gaulle est en tournée pour promouvoir sa « Communauté franco-africaine » sur le continent.
Dans un discours resté célèbre, celui qui affirmait être un descendant du fameux Samory Touré, dernier grand conquérant africain à résister à la colonisation française, lance alors : « il n’y a pas de dignité sans liberté. Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ».
Agacé, de Gaulle répond à Touré : « l’indépendance est à la disposition de la Guinée (mais) la France en tirera les conséquences ».
En septembre 1958, la Guinée est la seule colonie française à voter « Non » au référendum, le pays devient le deuxième pays d'Afrique subsaharienne, après le Ghana, à accéder à l'indépendance, avec à sa tête un Sékou Touré au faîte de sa gloire internationale.
Né en 1922 à Faranah, dans la région de Haute-Guinée, en pays mandingue, il entre à 18 ans aux PTT (Postes et Télécommunications) et s'affirme très vite comme un militant syndicaliste particulièrement actif, créant le premier syndicat de Guinée.
Fondateur du Parti démocratique de Guinée (PDG), il déclenche en 1953 une grève générale. L'agitateur syndicaliste entame alors une carrière politique fulgurante.
Conseiller municipal puis maire de Conakry, il est député de la Guinée à l'Assemblée nationale française de 1956 à 1958 et vice-président du Conseil de gouvernement de la Guinée.
En 1958, à 36 ans, il devient le premier chef d'Etat de la Guinée, un poste qu'il occupe jusqu'à sa mort en 1984 à Cleveland (Etats-Unis) après avoir survécu à plusieurs attentats et tentatives de coups d'Etat.
Orateur incisif, sachant manier métaphores et paraboles, Sékou Touré, toujours vêtu d'un boubou et coiffé d'une toque, captive son auditoire lors de discours-fleuves de plusieurs heures, véritables diatribes anti-impérialistes.
Il accueille alors les rebelles de la région, en lutte contre les colons européens, et les artistes, comme dans les années 60 la Sud-Africaine Miriam Makeba, contrainte à l'exil par le régime de l'apartheid.
Mais après le retrait brutal des Français et l'orientation « socialiste » du régime, la corruption généralisée mine très vite l'économie malgré les richesses du sous-sol (bauxite, or, diamants).
Il a « plongé le pays dans l'obscurantisme, instaurant un système totalitaire, qui était une pâle copie des régimes dit du Bloc de l'Est d'alors », estime Me Boubacar Camara, avocat et militant des droits de l'Homme, interrogé par l'AFP.
Sékou Touré devient paranoïaque, dénonce régulièrement des « complots de l'étranger » visant à le renverser et procède à des purges sanglantes, noyant dans le sang les idéaux de la « Révolution ».
Son régime est responsable de la mort ou disparition de 50.000 personnes et de la fuite à l'étranger de centaines de milliers d'autres.
Portrait du président Sékou Touré - INA