Le 18 avril 1980 naissait le Zimbabwe

 

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Le Caire, 26 juin 2019, drapeau du Zimbabwe à un match de football - Javier Soriano - AFP
Le Caire, 26 juin 2019, drapeau du Zimbabwe à un match de football. Javier Soriano - AFP

Par Florence de MARIGNAN

Le 18 avril 1980, la Rhodésie, ancienne colonie britannique, devient indépendante et se rebaptise Zimbabwe. Le leader nationaliste noir Robert Mugabe devient Premier ministre et son partenaire de lutte Joshua Nkomo ministre de l'Intérieur.

Voici le récit des événements ayant conduit à l'émancipation, diffusé en 1990 à l'occasion des dix ans de l'indépendance.

PARIS, 12 avril 1990 (AFP) - Lentement « l'Union Jack » glisse le long du mât. Une immense clameur monte des quatre coins du stade Rufaro à Salisbury et enfle jusqu'au paroxysme. Trente-six mille poitrines fêtent avec enthousiasme la montée du drapeau rouge, vert, jaune et noir, frappé de l'étoile et de l'oiseau sacré, symboles du nouvel Etat. Des clameurs scandent les 21 coups de canon. Des avions emplissent la nuit de leur vacarme. Les applaudissements et les cris de joie de la foule s'apaisent progressivement puis se transforment en chants. Il est un peu plus de minuit, ce vendredi 18 avril 1980, le Zimbabwe vient de naître dans l'allégresse.

- Un nouveau départ -

Mettant fin à 90 ans de colonisation en Rhodésie, la Grande-Bretagne accorde l'indépendance à son ancienne colonie « rebelle ». Devant une foule en délire, le Prince Charles, héritier du trône britannique, remet au président du nouvel Etat, M. Canaan Banana, le texte de la Constitution, « symbole de votre indépendance ». Le dernier lien colonial entre Londres et Salisbury est tranché.

Quelques minutes plus tôt, saluant « l'immense signification historique » de l'accession du Zimbabwe à l'indépendance, le Prince de Galles, dans son uniforme blanc de la marine britannique, déclarait : « c'est l'une des rares occasions dans la vie des Nations où un nouveau départ plus grandiose est possible. Nous ne devons pas permettre qu'il échoue ».

Au même moment, alors que la population africaine fête dans l'enthousiasme sa souveraineté chèrement acquise, trois personnes trouvent la mort dans une série d'incidents violents à Salisbury.

Rarement, la naissance d'un Etat africain aura déplacé autant de dignitaires. Le choix des invités reflète les options de politique étrangère des nouveaux dirigeants, qui ont toujours exprimé de l'amertume à l'égard des pays socialistes du camp soviétique. Sur les gradins officiels, une centaine de délégations étrangères assistent aux cérémonies. L'Afrique du sud et la plupart des pays d'Europe de l'Est ne sont pas représentés. L'URSS, coupable d'avoir accordé un soutien exclusif à M. Joshua Nkomo, grand rival (chez les nationalistes noirs) de M. Robert Mugabe, a failli elle aussi ne pas être conviée.

Par contre, tous les principaux mouvements de libération comme ceux d'Afrique du sud, le Front Polisario du Sahara occidental, et l'Organisation de Libération de la Palestine sont représentés, ainsi que tous les pays occidentaux. Un grand absent, l'ancien leader rhodésien blanc Ian Smith.

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Salisbury, juillet 1971 , Ian Smith, Premier ministre de Rhodésie - Philippe Ledru - AFP
Salisbury, juillet 1971 , Ian Smith, Premier ministre de Rhodésie - Philippe Ledru - AFP

- Une colonie rebelle -

Décrit un jour comme « l'homme le plus extraordinairement ordinaire », Ian Smith était devenu le 11 novembre 1965 le premier sujet britannique à déclarer unilatéralement l'indépendance d'une colonie de la Couronne, depuis celle des Etats-Unis en juillet 1776. En cette fin d'année 1965, éclatait donc « l'affaire rhodésienne », qui ne devait être réglée que 15 ans plus tard, après sept ans de guerre entre les autorités de Salisbury (aujourd'hui Harare) et les nationalistes noirs.

Afin de prévenir une accession des Noirs au pouvoir et mettant un terme à de longues négociations infructueuses avec la Grande-Bretagne, la minorité blanche conduite par Ian Smith (250.000 personnes contre 6 millions de Noirs) déclarait son indépendance, contre la volonté de Londres. Considérée illégale, cette initiative était aussitôt condamnée par tous les Etats africains et étrangers.

Le pays prend pour nom officiel celui de « Rhodésie » (mot dérivé de Cécil Rhodes, explorateur et aventurier qui colonisa la région au nord du Transvaal à la fin du 19e siècle), tandis que le gouvernement britannique utilise toujours l'appellation de « Rhodésie du sud » afin de marquer la pérennité du statut de colonie. Pour leur part, certaines instances internationales le désignent déjà sous le nom de « Zimbabwe » (du nom du royaume ayant dominé cette région jusqu'à la fin du 15e siècle), qui marque l'appartenance de la contrée aux Africains.

A compter de ce moment-là, le pays va vivre replié sur lui-même. Pour faire face aux sanctions économiques imposées par le Royaume-Uni puis par l'ONU, le gouvernement de Ian Smith organisera une semi-autarcie tandis que tous les liens politiques avec le monde extérieur seront progressivement rompus, si ce n'est avec l'Afrique du sud et les possessions portugaises.

Selon Londres, la Rhodésie, complètement enclavée à l'intérieur du continent africain, devait alors se soumettre, à plus ou moins longue échéance. C'était ignorer la capacité d'autosuffisance d'une colonie que sa population blanche (se servant d'une abondante et avantageuse réserve de main d'œuvre noire) avait portée à un exceptionnel degré de prospérité, industrielle et agricole. Et c'était ignorer la conviction de son leader qui avait promis que « jamais, même dans mille ans », les Noirs ne gouverneraient ce pays. Pour lui, l'intérêt de la Rhodésie était de « demeurer entre des mains responsables et civilisées ».

- Plus de 27.000 morts -

Outre l'embargo commercial international, les Rhodésiens sont d'abord confrontés à quelques tentatives d'insurrection de la part des nationalistes noirs, qui maintiennent de façon permanente le pays en état de tension. Leur action consiste à pénétrer dans le pays, à partir de la Zambie voisine, à y installer des camps d'entraînement militaire et à mobiliser la population noire. Mais la victoire facile du gouvernement les laisse dans le désarroi, et l'absence de menace politique et militaire donne aux 250.000 Blancs un moral d'acier. Il faudra attendre 1971 pour voir une réorganisation des mouvements de guerilla.

Tout commence vraiment le 21 décembre 1972. Ce jour là, à l'aube, un petit commando attaque à la roquette la ferme des Borgrave, une famille européenne vivant à Centenary, petite localité au nord-est de la Rhodésie. Quelque vitres brisées, une fillette légèrement blessée: la communauté blanche ne voit dans cet incident qu'une escarmouche sans lendemain. C'est en fait le premier acte d'un conflit dont le bilan, sept ans plus tard, devait se révéler fort élevé : plus de 27.000 morts.

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Zimbabwe, 6 février 1980, des guerilleros - AFP
Zimbabwe, 6 février 1980, des guerilleros - AFP

Le nombre des nationalistes augmente d'année en année et les accrochages deviennent de plus en plus sévères, surtout à partir de 1975, lorsque le Mozambique voisin obtient son indépendance. Sur le plan stratégique, cela signifie que les 1.100 kilomètres de frontière commune entre les deux pays sont désormais ouverts aux guerilleros.

Mais le mouvement noir est divisé et les rivalités entre les leaders sont fortes: l'Union Populaire Africaine du Zimbabwe (ZAPU), dirigée par Joshua Nkomo, et l'Union Nationale africaine du Zimbabwe (ZANU) de Robert Mugabe ont toutes deux une idéologie socialiste et exigent le transfert du pouvoir à la majorité africaine. La première, « modérée », est favorable aux négociations avec les autorités, la seconde, « radicale », a évolué en faveur de la lutte armée.

Quant au Conseil National Africain (ANC) de l'évêque Abel Muzorewa, il se définit comme un mouvement prônant la non-violence.

Fin 1974, les trois tendances proclament leur unification, mais les Etats voisins, lassés des querelles intestines qui minent ces organisations, favorisent une restructuration en 1976 et mettent en avant Robert Mugabe, qui, à la tête de 12.000 combattants, mènera désormais la guerilla.


- De difficiles négociations -

Entre temps, l'effondrement de l'empire portugais, la politique « d'ouverture » de l'Afrique du sud et les progrès continus de la guerilla noire sur le terrain contraignent Salisbury à rouvrir le dossier constitutionnel. Ian Smith tente, non sans réticence, d'entamer un dialogue avec l'aile modérée des nationalistes, le mouvement de l'évêque Muzorewa. Une rencontre historique aura ainsi lieu le 25 août 1975 aux chutes Victoria.

A la suite d'un « règlement interne », des élections générales ont lieu en avril 1979 et deux mois plus tard, l'Etat de « Zimbabwe-Rhodésie » est proclamé. Un gouvernement à majorité noire, dirigé par le vainqueur des élections, l'évêque Abel Muzorewa, est mis en place, marquant la fin de 90 ans de domination blanche. Mais les guerilleros ne désarment pas et la même année, l'ancien Premier ministre (Muzorewa) signe à Lancaster House (Londres), avec la Grande-Bretagne et ses deux ennemis, Robert Mugabe et Joshua Nkomo, un accord qui aboutit en 1980 à l'indépendance.

Le nouvel homme fort du pays, Robert Mugabe, Premier ministre puis président de la République, séduira d'abord par sa politique de réconciliation. Il instaurera ensuite un régime autoritaire, menant une répression brutale contre ses opposants, et précipitera l'effondrement économique de son pays avec une violente réforme agraire. Contraint de démissionner en 2017, à 93 ans et après 37 ans de pouvoir, il mourra deux ans plus tard à Singapour.