Seveso, une catastrophe gravée dans les mémoires
La catastrophe de Seveso, près de Milan (nord de l'Italie), n'a fait aucun mort mais reste dans les mémoires, à cause de la forte angoisse qu'elle a provoquée et parce qu'elle a donné son nom à une directive européenne qui a marqué un tournant pour la sécurité industrielle.
Le samedi 10 juillet 1976 à 12H37, une surchauffe dans une unité de production chimique, laissée sans surveillance pendant le week-end, provoque la rupture d'un disque de sécurité dans l'usine Icmesa près de Seveso. Ce site appartient au groupe suisse Givaudan, à l'époque contrôlé par le géant pharmaceutique Roche.
Un nuage rougeâtre s'échappe pendant près d'une heure et contamine les communes de Meda, Seveso, Desio et Ceseno Maderno, à une vingtaine de kilomètres de la deuxième ville d'Italie, Milan. Heureusement, le chef d'atelier se trouve par hasard près de l'usine et intervient pour stopper la fuite.
Le lendemain, l'usine envoie des prélèvements pour examen en Suisse et avertit les maires concernés qu'il convient d'éviter fruits et légumes. Le travail reprend le lundi matin, sauf dans le bâtiment où s'est produite la fuite. Des animaux commencent à mourir dans la zone.
Le 14 juillet, les premiers effets se font sentir sur les êtres humains. Des enfants souffrent de brûlures chimiques de la peau, 15 d'entre eux sont hospitalisés. Plusieurs développent des chloracnés, boursouflures spectaculaires de la peau après une exposition chimique.
La direction d'Icmesa met plus d'une semaine à fermer l'usine et à révéler que le nuage contient de la dioxine, substance très toxique qui a servi dans le défoliant « agent orange » utilisé par l'armée américaine dans la guerre du Vietnam.
L'usine fabrique du trichlorophénol (TCP), produit utilisé pour fabriquer désherbant et désinfectant, qui se décompose en dioxine (TCDD) en cas de forte hausse de température. L'enquête a montré que c'est ce qui s'est accidentellement produit le 10 juillet.
L'AFP évoque pour la première fois l'accident le 19 juillet dans une dépêche titrée : « Un gaz toxique fait des ravages dans la faune et la flore près de Milan ». L'armée débute l'évacuation de la zone contaminée le 26 juillet. La presse s'alarme : sous le titre « Vietnam en Italie », La Stampa se demande pourquoi une telle usine est installée dans une zone si fortement peuplée.
Les médecins recommandent de ne pas concevoir d'enfant pendant trois mois, de se passer d'alcool et de tabac et de pratiquer des exercices physiques quotidiens afin d'éliminer les toxines.
Des spécialistes de la décontamination viennent de Grande-Bretagne et des États-Unis. Un professeur réputé de Hanoï préconise le savon de Marseille, très efficace, selon lui, pendant la guerre du Vietnam. D'autres suggèrent l'emploi de lance-flammes, de bactéries ou de rayons ultra-violets.
Près de 220.000 personnes ont été exposées à cette pollution. 736 ont été évacuées des zones les plus contaminées, 193 suivront des traitements médicaux. La crainte de donner naissance à des enfants malformés entraînera les premiers avortements ouvertement pratiqués en Italie.
Personne n'ira en prison après la catastrophe. Roche paiera 240 millions de dollars de dédommagements. Le directeur technique d'Icmesa, Paolo Paoletti, sera assassiné le 5 février 1980 à Monza près de Milan par l'organisation d'extrême-gauche Prima Linea.
Six ans après l'accident, la disparition de 41 fûts de déchets contaminés, finalement retrouvés en France puis incinérés, illustrera les trafics des « éco-mafias ».
Les opérations de décontamination dureront près de cinq ans. Des maisons seront détruites, des animaux abattus, la terre raclée, l'usine démantelée et les matériaux contaminés enfouis dans deux immenses bassins étanches. Un complexe sportif et un parc naturel recouvrent désormais les lieux.
Cette catastrophe chimique marquera les esprits et poussera les autorités européennes à agir pour limiter les risques industriels.
En 1982, la Communauté économique européenne (CEE, prédécesseur de l'Union européenne) adopte la « directive Seveso » pour prévenir les accidents de type Seveso.
La directive qui en est aujourd'hui à sa troisième version, a pour objet de répertorier les sites industriels dangereux et d'y maintenir un haut niveau de sécurité et de prévention (plans d'urgence, informations aux riverains, etc.).