Bhopal, un désastre chimique aux milliers de morts
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, un nuage toxique s'échappe d'un réservoir de l'usine de pesticide du groupe américain Union Carbide, à Bhopal, ville du centre de l'Inde.
Des milliers d'habitants, le plus souvent des pauvres vivant dans un immense bidonville établi entre la ville et l'usine, sont pris au piège dans leur sommeil par les émanations d'isocyanate de méthyle, un gaz mortel.
Les enquêteurs établiront par la suite que l'accident est dû à l'explosion d'une valve de sécurité après une réaction chimique entraînée par l'écoulement accidentel d'eau dans le réservoir. Union Carbide (racheté en 2001 par le conglomérat américain Dow Chemical) affirmera, pour sa défense, que le désastre est dû à un acte de sabotage.
D'après l'association de défense des survivants International Campaign for Justice in Bhopal (ICJB), le désastre « est le résultat d'années d'efforts de la part d'Union Carbide pour économiser sur les procédure et règlements de sécurité ». Tous les systèmes de sécurité qui auraient pu éviter la fuite mortelle étaient manquants ou défaillants au moment de l'accident en raison de « négligences », selon l'ICJB.
Cette nuit-là, des centaines de milliers d'habitants sont réveillés par de forts picotements aux yeux, des quintes de toux. Les survivants se souviennent d'une odeur de piment, d'un nuage jaune, de la panique dans l'obscurité des ruelles du bidonville.
Selon les chiffres du gouvernement, 3.500 personnes succombent les trois premiers jours de la tragédie, essentiellement par suffocation. L'Indian Council of Medical Research (ICMR - grand organisme public pour la recherche médicale en Inde) estime que la fuite a tué 8.000 à 10.000 personnes dans les premiers jours et entraîné la mort 25.000 habitants, au total, sur dix ans.
Les statistiques du gouvernement compilées après 1994 ont établi qu'au moins 100.000 personnes vivant près de l'usine ont été victimes de maladies chroniques, notamment de problèmes rénaux, de déséquilibres hormonaux ou de cancers.
Le gaz toxique a, dans un premier temps, gravement affecté les poumons, les yeux et le système digestif. A plus long terme, il s'est attaqué au système immunitaire, ce qui entraîne aujourd'hui encore des leucémies et d'autres formes de cancers.
Les conséquences sont sans fin pour les riverains du site. Nombre d'entre eux ont des enfants ou petits-enfants qui souffrent de malformations. La nappe phréatique est contaminée par les déchets toxiques entreposés de longue date avant l'accident sur le site qui a été abandonné en l'état.
De nombreuses familles se retrouvent sans ressources après la perte ou l'incapacité physique d'un proche. Plus de trente ans après la catastrophe, des organisations militantes réclament toujours que Dow Chemicals indemnise mieux les victimes et nettoie le site toujours contaminé.
Le groupe américain a rejeté toute responsabilité, estimant qu'il revenait au gouvernement indien d'assumer les coûts de santé et de nettoyage de l'usine après l'accord qu'il a conclu en 1989 avec l’État indien. La firme chimique a versé 470 millions de dollars (loin des 3,3 milliards réclamés initialement) en échange d'un arrêt des poursuites.
L'ex-président d'Union Carbide Warren Anderson, est mort en 2014 aux Etats-Unis sans avoir été condamné. Venu à Bhopal quatre jours après l'accident, il avait été arrêté mais avait pu quitter le pays, les autorités américaines rejetant ensuite à plusieurs reprises les demandes d'extradition indiennes.
Il a fallu attendre 25 ans pour que la justice indienne condamne sept anciens responsables de l'usine, tous Indiens, pour « négligence ayant provoqué la mort ». La légèreté des peines prononcées en juin 2010 -deux ans de prison- a provoqué un tollé.