Bhopal, plaie toujours ouverte

 

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Manifestation à Bhopal 30 ans après la tragédie, le 3 décembre 2014 - Indranil Mukherjee - AFP
Manifestation à Bhopal 30 ans après la tragédie, le 3 décembre 2014. Indranil Mukherjee - AFP

Par Christian OTTON

A Bhopal, la tragédie de 1984 se vit toujours au quotidien trente ans après. Cancers, insuffisances respiratoires, déficiences du système immunitaires, problèmes musculo-squelettiques, gastro-intestinaux, neurologiques, gynécologiques... C'est un désastre permanent, qui pèse en particulier sur les enfants.

BHOPAL, 1er décembre 2014 (AFP) - Quand la petite-fille de Champa Devi Shukla est née avec une série de déformations du visage à Bhopal, théâtre il y a 30 ans de la pire catastrophe industrielle en Inde, les conseils n'ont pas manqué.

« Beaucoup m'ont dit de la tuer. Ils disaient qu'elle ne servirait à rien et que je devrais lui remplir la bouche de tabac », raconte Devi Shukla.

« Mais je me suis dit que je ne la laisserais pas mourir. J'ai déjà perdu trois fils dans cette tragédie et je ne veux pas perdre quelqu'un d'autre ».

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Au centre Chingari Trust de Bhopal le 30 novembre 2014 - Indranil Mukherjee - AFP
Au centre Chingari Trust de Bhopal le 30 novembre 2014. Indranil Mukherjee - AFP

La fuite massive de gaz toxique dans une usine de pesticides d'Union Carbide la nuit du 2 au 3 décembre 1984 à Bhopal, capitale du Madhya Pradesh (centre), a tué 3.500 personnes en quelques jours et quelque 25.000 sur le long terme.

Mais les conséquences de cette tragédie sont sans fin pour les habitants des alentours de l'usine, nombre d'entre eux ayant donné naissance à des enfants avec des malformations.

Leur nombre est impossible à établir mais, dans les rues proches du site abandonné, beaucoup de familles ont eu, après 1984, des enfants morts prématurément ou souffrant de graves problèmes de santé.

Le gouvernement n'a jamais établi de lien avec la catastrophe, une décision qui aurait pourtant d'importantes retombées pour les victimes, jusque-là faiblement indemnisées.

Devi Shukla a perdu son mari et trois fils en une nuit. L'une de ses filles, Vidya, a fini partiellement paralysée après avoir inhalé des fumées toxiques, son état s'étant cependant amélioré après de longues séances de masso-kinésithérapie.

La famille s'est réjouie de la grossesse de Vidya mais sans se douter des difficultés qui s’annonçaient. Son fils aîné, Sushil, souffre d'un retard de croissance et mesure moins de 1,20 mètre à 18 ans.

Son deuxième fils est mort à cinq mois et Vidya a ensuite donné naissance à une fille, Sapna.

« Elle est née avec une fente labio-palatine. Elle a subi trois séries d'interventions jusqu'ici », déclare Devi Shukla, et doit encore être opérée une fois pour la reconstruction de son nez. Sapna, une joyeuse adolescente de 13 ans, veut devenir médecin.

L'expérience familiale l'ayant convaincue du lien avec la catastrophe, Devi Shukla a aidé à la création d'une clinique pour les survivants ayant des problèmes de santé.

Le Chingari Trust accueille 705 enfants, atteints notamment de surdité ou d'autisme, et offre des soins physiques, de l’orthophonie ainsi que des cours et des activités sportives.

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Jeune handicapé à Bhophal, le 2 décembre 2004 - Emmanuel Dunand - AFP
Jeune handicapé à Bhophal, le 2 décembre 2004. Emmanuel Dunand - AFP

- « Eau empoisonnée » -

(...) Une étude publiée il y a dix ans dans le Journal of American Medical Association a établi que les garçons nés de familles exposées au gaz toxique étaient en moyenne 3,9 centimètres plus petits que ceux nés ailleurs dans Bhopal.

Le secrétaire général d'Amnesty International, Salil Shetty, qui mène le combat pour l'augmentation des indemnisations, estime qu'il y a des preuves de l'empoisonnement.

« Nous faisons face à des problèmes de santé sur plusieurs générations », dit-il à l'AFP à l'occasion des cérémonies commémorant les 30 ans de la tragédie.

« Il y a de multiples études sur des années (..). Il est très clair que l'eau a été contaminée », ajoute-t-il, précisant que l'empoisonnement des sols et de l'eau avait même commencé avant l'accident.

Devi Shukla raconte que les enfants « ont peur de boire l'eau » encore maintenant, en dépit du changement des canalisations.

Pour le médecin d'un institut financé par l’État étudiant la santé des enfants à Bhopal, il est pourtant trop tôt pour établir un lien entre l'usine et les maladies congénitales.

« Cela n'a été ni établi ni démenti », affirme-t-il à l'AFP, sous couvert d'anonymat.

Salil Shetty reconnaît que la cause exacte de certaines maladies est toujours contestée mais que la responsabilité en revient aux autorités.

« Pourquoi le gouvernement indien ne parvient-il pas à conduire les recherches adéquates ? Ce n'est pas comme si l'Inde n'en avait pas les capacités. Les victimes attendent depuis 30 ans, c'est trop long ».

 

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Les victimes de Bhopal toujours en quête de justice, vidéo de décembre 2014. Charlotte Turner/Agnes Bun - AFP