Seveso : peur sur la Brianza
Par Marc THIBAULT
Au départ, personne n'a vraiment pris au tragique la catastrophe de Seveso, dans la région de la Brianza, au nord de Milan. L'alerte est donnée lorsque des animaux domestiques commencent à mourir et que des brûlures chimiques apparaissent sur la peau des enfants.
La première dépêche de l'AFP tombe le 19 juillet 1976, neuf jours après l'accident. Elle signale : « Une nappe de gaz toxique échappée il y a dix jours de l'usine de produits chimiques Icmesa de Meda, à une vingtaine de kilomètres de Milan, fait des ravages dans la faune et la flore autour de la ville ». Une semaine plus tard les premières évacuations sont ordonnées. L'AFP dépêche un journaliste dont voici le reportage.
MILAN (Italie), 28 juillet 1976 (AFP) - La peur, la peur d'un danger mystérieux et invisible, incompréhensible parce qu'insaisissable, s'est installée en Brianza.
Les habitants de la Basse Brianza, la région à quelques kilomètres de Milan surnommée le « jardin de la Lombardie » en raison de son côté vert et riant, vivent depuis plus de deux semaines dans la hantise du lendemain. Très exactement depuis le 10 juillet, depuis qu'un nuage de gaz toxique s'est échappé de l'usine de produits chimiques Icmesa.
L'affaire au début n'a pas été prise au tragique. De l'établissement, derrière le village de Seveso, camouflé par un rideau d'arbres, s'est élevée par une chaude après-midi de juillet une nuée pourpre. « Il faisait une chaleur asphyxiante, avec un peu de vent », raconte le maire social-démocrate de Cesano Maderno, une ville voisine, M. Nevino Giacomini. « Le nuage s'est élevé et s'est dirigé vers le sud-est, il avait tendance à retomber, mais à chaque fois le vent le portait un peu plus loin ».
Dix jours plus tard règne dans toute la région, fortement peuplée, une ambiance de cataclysme. Les habitants de Seveso ont été évacués, au total près de 200 personnes sur les 17.000 qui y vivent. Une cinquantaine d'hectares de terre ont été entourés de fils de fer barbelés et placés sous la surveillance de l'armée.
Les spécialistes de la guerre chimique de l'armée italienne ont été mobilisés, des experts américains de la base de Naples de l'Otan consultés, les chercheurs des universités italiennes mis sur l'affaire. Le drame de la Brianza, de petit fait divers local, a mis deux semaines à prendre une ampleur nationale.
Le responsable de tout cela est un dérivé du trichlorophénol, le TCDD contenu dans une proportion difficile à déterminer dans la nappe de gaz toxique. Les effets sur place ont été pratiquement immédiats: destruction de la flore, décimation de la faune et répercussions sur les habitants de la région. « Un habitant de Cesano Maderno avait 58 lapins, 51 sont morts », explique le maire de la ville dont les 35.000 habitants vivent également dans la peur du « mal invisible ».
La zone évacuée par l'armée a un périmètre de 5 à 6 kilomètres et, autour, se sont groupés habitants et curieux. « Avant, raconte l'un d'eux, il y avait ici des moineaux, des passereaux, des hiboux, des merles, des corbeaux. Ils ont tous disparu --on a vu des oiseaux gonflés, bouffis, tomber et mourir après quelques soubresauts. Les plantes se sont colorées de marron. Les légumes se sont desséchés ».
La crainte de répercussions à long terme apparaît. « Il y a des gens qui ont mangé de ces légumes, allez savoir ce que ça fait », raconte cette même personne. Un autre habitant de la région indique que pendant une semaine les lapins morts des effets du gaz ont été tranquillement consommés par les familles.
Les autorités italiennes sont maintenant face à deux problèmes : premièrement comment « nettoyer » la zone touchée directement et deuxièmement comment empêcher une extension de la région contaminée.
Aucune décision n'a encore été prise sur la façon de décontaminer la zone. Plusieurs solutions ont été étudiées au cours d'une réunion, mardi soir à Rome, au ministère de l'Intérieur avec les autorités régionales de Lombardie et les responsables du ministère de la Santé. A ainsi été envisagé de brûler le terrain au napalm, ou encore de raboter la région avec des bulldozers, ce qui demanderait l'évacuation de milliers de mètres cubes de terre et leur stockage, ce qui apparaît pour l'instant comme une difficulté insurmontable.
Les responsables italiens comptent d'autre part sur les informations qui leur seront transmises par les spécialistes américains ou britanniques sur les effets du TCDD pour déterminer le meilleur moyen de lutter contre ce produit extrêmement nocif qui, par infiltration successive, pourrait menacer d'autres régions.
En attendant, des camions-citernes déversent sans arrêt des tonnes d'eau sur la zone empoisonnée pour éviter une dispersion des particules toxiques. Mais la solution est considérée comme peu satisfaisante car elle fait courir le risque d'une contamination des cours d'eau avoisinants.