Les premières heures de liberté de Mikhaïl Gorbatchev à Foros

 

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Le 21 août 1991, Mikhaïl Gorbatchev fait sa première apparition depuis le coup d'État, s'adressant à des journalistes dans sa maison de vacances, avant son retour à Moscou. Derrière Gorbatchev se tient le vice-président russe Alexander Routskoï. - Stéphane Bentura - AFP
Le 21 août 1991, Mikhaïl Gorbatchev fait sa première apparition depuis le coup d'État, s'adressant à des journalistes dans sa maison de vacances, avant son retour à Moscou. Derrière Gorbatchev se tient le vice-président russe Alexander Routskoï. Stéphane Bentura - AFP

Alors que l'échec de la "junte" apparaît imminent, des dirigeants de la Fédération de Russie décident le 21 août 1991, de partir pour la Crimée par un vol spécial.

Leur but : ramener à Moscou le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, tenu à l'isolement dans sa résidence balnéaire de Foros.

Profitant de la confusion régnant sur le tarmac de l'aéroport moscovite où se presse la délégation menée par les Russes, une poignée de journalistes parviennent à se faufiler à bord du TU-134 de l'Aeroflot.

Parmi eux, l'envoyé spécial de l'AFP Stéphane BENTURA qui sera aux avant-postes pour recueillir les premiers mots du président soviétique libéré. Voici son reportage.

FOROS, 22 août 1991 - "Je vous souhaite la bienvenue à tous": c'est par ces quelques mots, agrémentés d'un large sourire sur son visage hâlé, que le président Gorbatchev a accueilli, dans la nuit de mercredi à jeudi, dans sa villa de Foros sur les bords de la mer Noire, la délégation de la fédération de Russie venue le délivrer.

M. Gorbatchev, officiellement "destitué pour raisons de santé" lundi dernier, a regagné le Kremlin jeudi matin, mettant fin à un coup d'Etat de trois jours durant lequel il a été "assiégé" dans sa résidence d'été, sans jamais avoir été en danger grâce à la protection de ses gardes du corps.

En bras de chemise, le col ouvert, M. Gorbatchev a reçu la délégation conduite par le vice-président russe Alexandre Routskoï et le premier ministre Ivan Silaïev, dans un salon richement décoré de sa luxueuse résidence d'été, perdue dans les bois de cyprès des collines de la presqu'île de Saritch.

La délégation a dû passer deux grilles gardées par un important dispositif de sécurité pour accéder à la résidence, constituée de plusieurs bâtiments. Les journalistes, les députés et le diplomate français présents ont dû se soumettre à une fouille personnelle minutieuse, effectuée dans l'immeuble de quatre étages ou vivent les gardes du corps.

Le petit groupe est ensuite emmené vers la villa de deux étages, surplombant une superbe piscine avec vue sur la mer. Les invités pénètrent dans un salon du deuxième étage, à l'entrée duquel se tient Irina, la fille du président. M. Gorbatchev s'est d'abord entretenu en tête-à-tête avec MM. Silaïev et Routskoï.

C'est dans ce cadre doré, où les murs sont de marbre blanc et les parquets de bois précieux, que Mikhaïl Gorbatchev a dû vivre "coupé du monde" avec toute sa famille.

Visiblement en bonne santé mais aussi les traits marqués par l'épreuve, M. Gorbatchev explique à ses invités -- les premiers à le rencontrer depuis le coup d'Etat -- que ses gardes ne l'avaient jamais abandonné durant ces jours dramatiques.

M. Gorbatchev raconte rapidement son épopée et insiste sur la fidélité de ses hommes, qui lui a permis de rester libre de ses mouvements dans l'enceinte de sa résidence. "Le président s'est baigné moins souvent", ironise l'un de ses gardes du corps.

- "Aucun marchandage" -

Le président soviétique n'a ainsi jamais été entre les mains des comploteurs pendant les quatre jours de putsch qui l'ont mis à rude épreuve. Politique délibérée des putschistes pour éviter un bain de sang ou impossible assaut, M. Gorbatchev et ses proches ont simplement été "coupés du monde", dans l'îlot balnéaire où les Gorbatchev ont l'habitude de passer leurs vacances.

Les hommes du service de sécurité, en tenue de sport, équipés de talkie-walkie et d'armes automatiques, font les cent pas dans la cour devant la maison et dans les allées bordées de cyprès. Aucune tension n'est cependant perceptible.

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La première page de la Pravda publiée le 23 août 1991, montre le président Mikhaïl Gorbatchev à l'aéroport de Moscou lorsqu'il a été libéré après l'échec de la tentative de coup d'État des responsables soviétiques. - AFP
La première page de la Pravda publiée le 23 août 1991, montre le président Mikhaïl Gorbatchev à l'aéroport de Moscou lorsqu'il a été libéré après l'échec de la tentative de coup d'État des responsables soviétiques - AFP

Le "coup d'Etat" a commencé dimanche soir pour le président, selon ses gardes du corps interrogés dans un des avions présidentiels lors du retour vers Moscou. Quatre membres de la junte, conduits par le vice-président Guennadi Ianaïev, sont venus dimanche en fin d'après-midi pour lui faire signer une lettre de démission. M. Gorbatchev a refusé et "toutes les communications avec l'extérieur ont été coupées" dès leur départ.

La voix un peu cassée, le président explique que "pendant presque quatre jours, la garde est restée de mon côté jusqu'au bout et est restée loyale, en prenant la datcha sous son contrôle", a expliqué le président. "On a formé une famille et on a fait front", ajoute-t-il.

La garde avait ordre "d'ouvrir le feu sur quiconque tentait de pénétrer ici", selon M. Gorbatchev. "La mer était pleine de navires de guerre et les environs pleins de soldats", indique le président que ces événements ont visiblement marqué.

A ses côtés, se tiennent MM. Routskoï et Silaïev, alors que MM. Evgueni Primakov et Vadim Bakatine, deux de ses fidèles, se tiennent à l'écart dans la pièce ornée de miroirs. "Je peux dire une chose: je n'ai fait aucun marchandage et j'ai tenu bon sur ma position de fermeté", ajoute M. Gorbatchev.

Consécration pour les autorités russes, Mikhaïl Gorbatchev monte dans l'avion de MM. Routskoï et Silaïev, avec sa femme Raïssa, sa fille Irina et sa petite fille Xenia. M. Gorbatchev a tenu à ce que le chef du KGB Vladimir Krioutchkov, qui sera arrêté à l'arrivée à Vnoukovo, voyage avec lui.

A 00h20 jeudi (23H20 mercredi à Paris), le Tupolev 134 dans lequel se trouve le président décolle de Belbek, l'aéroport militaire de Sébastopol, suivi immédiatement de l'avion présidentiel qui transporte, lui, le président du parlement Anatoli Loukianov.