Gorbatchev-Eltsine : le duel qui accompagna la fin de l'URSS
Compagnons des premières heures de la Perestroïka avant de devenir des rivaux acharnés, Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine se sont unis face à une tentative de putsch qui porta un coup fatal à l'Union soviétique et fit du second le seul maître du pouvoir.
En 2011, à l'occasion du vingtième anniversaire de la dislocation de l'Empire soviétique, l'AFP est revenue sur les parcours politiques croisés de ces deux figures majeures, dont les personnalités opposées continuèrent de s'entrechoquer par-delà les années.
MOSCOU, 1er décembre 2011 - Le fougueux président russe Boris Eltsine contre le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, critiqué pour son indécision et qui finit par démissionner le 25 décembre 1991: l'URSS a vécu ses derniers mois au rythme de ce duel qui a contribué à la détruire.
Cette année-là, Gorbatchev cherche à préserver l'unité d'un immense empire de 15 républiques aux aspirations séparatistes. Et si Eltsine, président de la plus grande d'entre elles, soutient officiellement la démarche, il s'efforce parallèlement de saper l'autorité de Gorbatchev, dont il juge les réformes trop timorées.
Ce bras de fer devient le symbole du délitement soviétique.
"L'antagonisme et la rivalité entre ces deux hommes a donné un caractère de feuilleton mélodramatique à l'effondrement de l'Union soviétique, même si cela n'en explique pas les causes", relève le politologue Daniel Treisman dans son ouvrage "The Return: Russia's Journey from Gorbatchev to Medvedev".
Pourtant, les aspirations de Eltsine et Gorbatchev étaient à l'origine similaires. Nés à un mois d'écart en 1931, ils sont de cette génération qui n'a pas été complice du régime stalinien. Leurs familles ont même été victimes des purges.
Tous deux ont travaillé dur pour gravir les échelons du PC, "Gorbi" dans sa province agricole de Stavropol (sud-ouest), Eltsine à Sverdlovsk (Oural), une région industrielle.
Lorsque Gorbatchev parvient au sommet de l'Etat en mars 1985, il réunit autour de lui des "jeunes" partisans des réformes, tranchant avec l'âge avancé de ses prédécesseurs. Il confie alors à Eltsine le contrôle de Moscou.
Mais les réalités soviétiques vont avoir raison de cette entente.
Eltsine, fougueux parfois jusqu'à l'imprudence -- enfant, il a perdu deux doigts en démontant une grenade à coups de marteau -- veut plus de réformes, alors que Gorbatchev louvoie pour ménager les conservateurs du régime.
- Deux pouvoirs -
La rupture est consommée en 1987. Eltsine critique le numéro un soviétique devant la direction du Parti. Gorbatchev l'écarte et lui jure: "Je ne te laisserai pas revenir en politique".
Mais, se sentant en phase avec les aspirations de la population, Eltsine revient devant le PC pour réclamer sa "réhabilitation".
Son ascension est inexorable: il est élu au Parlement soviétique en 1989 lors d'élections où s'affrontent pour la première fois réellement plusieurs candidats, puis prend la tête des députés d'opposition. Il s'emploie alors à renforcer les institutions de la république de Russie, grignotant les prérogatives de Gorbatchev.
Devenu président du Parlement de la république, Eltsine fait proclamer le 12 juin 1990 la souveraineté de la Russie.
Un an plus tard, il est élu au suffrage universel direct président de la Russie soviétique. Moscou abrite désormais deux pouvoirs : celui de Boris Eltsine, président russe en pleine ascension, et celui du président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, en déroute.
Malgré tout, Eltsine pense que sauvegarder l'Union sous une forme édulcorée est possible. Cette option est finalement balayée par un putsch raté de trois jours (août 1991) orchestré par la vieille garde soviétique.
- Humiliation -
Mais si Gorbatchev revient à Moscou, il le doit à son ennemi, qui debout sur un char haranguait les foules contre les putschistes.
Ultime humiliation, Gorbatchev doit remercier Eltsine, qui pousse son avantage et dissout le PC en Russie.
En décembre, l'URSS n'est plus qu'une coquille vide lorsque Eltsine signe avec les présidents de l'Ukraine et du Bélarus un traité mettant fin à l'Union soviétique. Impuissant et impopulaire, Gorbatchev démissionne le 25.
Vingt ans après, et alors qu'Eltsine est mort en 2007, la rancœur est toujours là. "C'était la pire des trahisons! Nous étions assis ensemble, on parlait, on s'est mis d'accord, et dans mon dos il faisait tout le contraire!", s'insurge en février 2011 M. Gorbatchev, à l'antenne de Radio Svoboda.
Si Eltsine a gagné ce duel, il finira cependant par partager le destin de son prédécesseur. Misère, inflation, corruption, guerre de Tchétchénie: après avoir commencé dans l'enthousiasme, les années 1990 finissent dans le chaos.
Et en décembre 1999, le pays accueille la démission du président russe, diminué par l'alcool, avec autant de soulagement que celle de Gorbatchev huit ans plus tôt.