Les gamins de Moscou 

 

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Un jeune garçon gagne de l'argent en jouant du concertina pour enfants au centre-ville de Moscou en mai 1994. - V.Khristoforov - ITAR-TASS-AFP
Un jeune garçon gagne de l'argent en jouant du concertina pour enfants au centre-ville de Moscou en mai 1994. V.Khristoforov - AFP

Année des bouleversements politiques en URSS, 1991 est aussi celle du naufrage économique dans lequel sombre l'Union soviétique, condamnant la grande majorité de la population à vivre sous le seuil de pauvreté.

C'est dans ce contexte de précarité généralisée qu'ont émergé au fil des mois des travailleurs d'un nouveau type. Des enfants, parfois très jeunes, arpentent désormais les rues moscovites, mettant à l'œuvre leur ingéniosité pour gagner les précieux roubles qui permettront à leurs parents de faire face aux dépenses du foyer.

La journaliste de l'AFP Paola MESSANA est allée à la rencontre de ces très jeunes travailleurs des rues. Voici son reportage.

MOSCOU, 3 décembre 1991 - Ils ont une dizaine d’années. Insouciants du froid pénétrant et de la nuit qui tombe à trois heures de l'après-midi, ils travaillent dans les rues, durant les week-ends et souvent même après l'école. En quelques mois, les gamins de Moscou sont devenus le symbole de la "jungle" soviétique.

Sergueï, 11 ans, Valera, 10 ans, Maxime, 9 ans, Andreï, 13 ans, et tous les autres. Ces enfants, dont les parents sont ingénieurs, ouvriers spécialisés ou fonctionnaires, ont fait leur apparition dans les rues de la capitale soviétique il y a quelques mois. Courant vers les automobilistes arrêtés aux feux rouges, chiffon en main, ils lavaient à toute allure les parebrises souvent démunis d'essuie-glaces et récoltaient 50 kopecks, un rouble.

La tâche s'est avérée rentable, et les gamins ont essaimé dans le centre-ville. On les trouve aux principaux carrefours, ou ils opèrent en bande. Un petit groupe travaille en dehors de Moscou, à la luxueuse station AGIP qui s'est ouverte il y a quelques mois sur la route de l'aéroport, la seule ou leur présence est tolérée par la direction. Ils aident à mettre l'essence -les pompistes sont inconnus en URSS-, lavent les voitures...

"Chacun d'entre nous gagne environ 70 roubles par jour en travaillant trois-quatre heures". Iouri, 12 ans, réussit à gagner entre 600 et 1.000 roubles par mois, autant que son père qui est technicien informatique.

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Une petite fille sans-abri se tient près de tentes artisanales près de la Place Rouge, le 16 décembre 1990 à Moscou. - André Durand- AFP
Une petite fille sans-abri se tient près de tentes artisanales près de la Place Rouge, le 16 décembre 1990 à Moscou. André Durand- AFP

- " Je donne presque tout à ma mère " -

La mère de Maxime travaille dans un atelier de montage radio de l'armée et gagne 300 roubles par mois, le salaire mensuel moyen. Elle vit seule avec son fils, le père "est en Amérique". "La première fois qu'elle m'a vu rentrer à la maison avec 1.000 roubles, elle a écarquillé les yeux, puis elle s'est mise à hurler: ou as-tu pris cet argent ? Maintenant, elle trouve que c'est bien, que j'apprends à travailler".

Maxime n'est plus laveur de parebrise. A 9 ans, il a déjà gravi un échelon dans la hiérarchie des "petits boulots", et travaille "devant MacDonald's".

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Des Moscovites font la queue, le 1er février 1992 à Moscou, devant l'enseigne de restauration rapide américaine, McDonald's. - Dima Korotayen - AFP
Des Moscovites font la queue, le 1er février 1992 à Moscou, devant l'enseigne de restauration rapide américaine, McDonald's. Dima Korotayen - AFP

Il propose aux clients qui font la queue ou arrivent en voiture d'inscrire leur commande -il possède une carte avec les tarifs- de prendre leur argent et de leur rapporter le tout dans les cinq minutes.

Pendant que Maxime entre, ni vu ni connu, par la porte de sortie du Mc Donald de la Place Pouchkine, son "collègue" Valera, 10 ans, s'installe à l'arrière de la voiture du client "pour ne pas qu'il s'échappe". La rétribution du service de Valera et Maxime est strictement tarifée: 20 roubles.

"Je donne presque tout à ma mère ", le leitmotiv revient constamment dans la bouche de ces enfants. Ils ne gardent qu'une "petite partie pour aller au cinéma ou pour acheter des chaussures de sport".