Picasso, ce prodigieux inventeur de formes
Par Claude CASTERAN
Rarement un homme aura autant vécu au service de l'art. Rarement, un artiste aura à ce point fécondé son siècle : peintre, sculpteur, céramiste, décorateur, écrivain même, la liste était longue des activités de Pablo Ruiz Picasso, mort le 8 avril 1973 dans sa propriété de Mougins (Alpes-Maritimes).
Ce génie, ce prodigieux inventeur de formes, victime à l'âge de 91 ans d'une embolie pulmonaire, n'était pas grand mais avait un beau visage aux traits réguliers, des yeux immenses, un corps bronzé, musclé, à l'énergie inépuisable. Sa personnalité était irradiante et sa présence peu commune. Des photos l'ont fixé à jamais dans l'imaginaire collectif : l'été, travaillant torse nu, une ceinture autour d'un maillot de bain, pieds nus dans des sandales, l'hiver, en pull et pantalon rayé.
Sa vie fut rythmée par la création mais aussi par les passions amoureuses : « Pour mon malheur, et pour ma joie peut-être, je place les choses selon mes amours », disait-il. Les plus connues de ses compagnes furent Marie-Thérèse Walter qui se pendit quatre ans après sa mort, la photographe Dora Maar et la peintre Françoise Gilot. Il se maria avec la danseuse des ballets russes Olga Khokhlova (1918-1955) et Jacqueline Roque (1961-1973), vestale des dernières années, qui se suicida par arme à feu en 1986. Il eut deux garçons et deux filles : Paulo avec Olga, Maya avec Marie-Thérèse, Claude et Paloma - en souvenir de la colombe de la paix que le peintre réalisa pour l'Onu - avec Françoise.
Photo des années 30 de Picasso, prise à Paris
Photo des années 30 de Picasso, prise à Paris - AFP
Ses proches mettaient en avant sa simplicité, sa générosité, la chaleur de son accueil et, en dépit de tout, une forme de modestie : « J'ai passé ma vie à peindre comme un enfant », assurait-il. D'autres - comme Françoise Gilot ou Marina, sa petite-fille - ont souligné sa cruauté psychologique, son côté irascible, sa personnalité d'ogre.
Il est né le 25 octobre 1881 à Malaga, dans le sud de l'Espagne. Il aurait adopté le nom d'origine italienne de sa mère. Il entre aux Beaux-arts de Barcelone où son père enseigne, puis à ceux de Madrid. Sa prodigieuse virtuosité ne passe pas inaperçue.
En 1900, il vient une première fois à Paris, capitale artistique du monde, mais ne s'y fixe qu'à partir de 1904. Il s'installe à Montmartre dans l'immeuble du « Bateau lavoir » que fréquentaient nombre d'artistes. C'est la « période bleue », peuplée le plus souvent de pauvres hères, et qui couvre les années 1901 à 1904.
S'ensuit la « période rose » (1905-1907) durant laquelle il produit ses premières sculptures. Avec ses copains Max Jacob, Paul Fort, André Salmon, Kees Van Dongen, Henri Matisse et tant d'autres, c'est la vie de bohème.
Picasso regarde le portrait de Staline le 1er novembre 1949 à Rome lors du congrès du Mouvement de la paix
Picasso regarde le portrait de Staline le 1er novembre 1949 à Rome lors du congrès du Mouvement de la paix - AFP
1907 marque l'année de sa première consécration : il peint ses fameuses « Demoiselles d'Avignon ». Le cubisme est né. Picasso lui restera fidèle pendant dix ans. Il invente également avec Georges Braque les « papiers collés ». Ayant déménagé à Montparnasse, il dessine les décors et les costumes de « Parade », un ballet « réaliste » de Serge Diaghilev qui va faire scandale (1917) mais qui accroît l'audience de Picasso. Durant les années 20, il peint une série de portraits inspirés d'Ingres mais abandonne bientôt le style antique pour le surréalisme (1925-1929). Il entreprend les gravures de sa « minotauromachie ».
Plutôt que de fuir en Amérique, Picasso passe la Seconde Guerre mondiale à Paris, refusant d'être vichyste ou gaulliste. En 1943, il écrit une pièce de théâtre, « Le désir attrapé par la queue », sorte de carnaval surréaliste. A la Libération, Picasso adhère au Parti communiste, à cause de la situation espagnole, mais ne sera pas un membre actif du PC.
Chaque été, il part retrouver la lumière du Midi, qu'il aime tant, à Vallauris (Alpes-Maritimes), puis à Cannes alors que sa réputation ne cesse de s'étendre. Le Salon d'automne où il a exposé en 1944 peintures et sculptures est un triomphe, à l'instar de la grande rétrospective organisée en 1945 à Londres. Le marché américain s'arrache ses tableaux à prix d'or.
Pablo Picasso, le 3 février 1968
Pablo Picasso, le 3 février 1968 - AFP
En 1949, il dessine sa fameuse « colombe de la paix » puis écrit une pièce « Les quatre petites filles ». A partir de 1953, il vit essentiellement dans le midi. A Vallauris qui s'étiolait, il apporte la prospérité. Georges Clouzot tourne un film (1955), « Le mystère Picasso » où, pour la première fois, on voit des tableaux en cours d'exécution sans qu'apparaisse la main de l'artiste.
La guerre d'Espagne lui inspire sa célèbre fresque « Guernica » (1937), destinée au pavillon espagnol de l'exposition internationale de Paris. En 1962, il reçoit le prix Lénine. Durant sa dernière décennie de vie, il va dessiner et peindre à un rythme échevelé.
En 1971, les cérémonies du 90e anniversaire tournent à l'apothéose : la grande galerie du Louvre expose pour la première fois l’œuvre d'un artiste vivant. Le président Georges Pompidou inaugure l'exposition où figurent des toiles des différentes périodes de Picasso.
Quarante après sa mort, « La Célestine », « Dora Maar au chat », « Le garçon à la pipe », « Les noces de Pierrette », « Maya à la poupée », « Nu au plateau de sculpteur », « Le vieux guitariste aveugle », et tant d'autres toiles restent au firmament de la peinture mondiale. Picasso a réalisé plus de 60.000 œuvres, de la grande toile au bouchon de plastique tordu dans tous les sens. Il existe pas moins de sept musées en Europe qui portent son nom : Paris, Antibes, Vallauris, Barcelone, deux à Malaga, un à Münster en Allemagne.
Picasso à Montparnasse - INA