Françoise Gilot : avec Picasso, la vie était un combat
Par Claude CASTERAN
Pour avoir vécu presque une décennie auprès de Picasso, de 1944 à 1953, Françoise Gilot s'est comparée à Jeanne d'Arc : « Il fallait porter une armure du matin au soir, prouver sa force 24 heures sur 24. Nous étions très mal assortis ».
Devenue citoyenne américaine, elle ne s'était pas rendue à ses obsèques en 1973. Françoise Gilot a en fait tiré un trait sur ce passé agité : muse pendant quelques années, elle fut surtout peintre durant plus de soixante ans.
Née le 26 novembre 1921 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) dans une famille bourgeoise, elle suit les traces de sa mère, une aquarelliste, pour s'orienter vers le dessin et la peinture.
Brune, élancée, l'air réfléchi, elle a 22 ans quand elle rencontre Picasso, alors âgé de 61 ans et amant de Dora Maar. Il l'invite à venir voir son atelier en mai 1943 et lui fait une cour empressée. L'homme qui a peint « Guernica » est un héros pour elle.
Elle le trouve par ailleurs courageux d'être resté à Paris alors qu'il aurait pu s'exiler aux États-Unis. Elle le suit à Paris et à Vallauris. Le couple a deux enfants, Claude (né en 1947) et Paloma (née en 1949). Durant leur vie commune, l'artiste la représente sous l'apparence de la « Femme fleur », radieuse, solaire, hautaine.
Françoise Gilot décide de s'en aller et de reprendre sa peinture, optant pour un minimalisme de plus en plus coloré. Il lui faut un sacré caractère pour se consacrer à sa propre œuvre quand l'ogre de génie n'aurait pu faire qu'une bouchée de ses prétentions artistiques.
En 1964, elle publie « Vivre avec Picasso », un livre relativement intime sur sa vie avec l'artiste, qui
rencontre un énorme succès (traduit en 16 langues, plus d'un million d'exemplaires vendus). Elle le dépeint comme un être tyrannique, superstitieux et égoïste. Pour elle, cette relation fut « un prélude à ma vie. Pas la vie ».
« Intellectuellement, dit-elle, nous nous entendions bien, humainement, c'était un enfer. Il n'était pas méchant mais cruel, c'était un sadisme masochiste (...). A la fin, ma jeunesse lui devenait insupportable et moi, je changeais aussi ».
Françoise Gilot dans l'atelier de Picasso en 1953
Françoise Gilot dans l'atelier de Picasso en 1953 AFP - afp.com
L'entourage du peintre parle alors d'opportunisme et les amis de Picasso s'éloignent d'elle. Ce dernier tente de faire interdire l'ouvrage mais la justice refuse la saisie. Furieux, il cesse alors de voir ses enfants et les répudie !
Françoise Gilot a aussi écrit un ouvrage (1991) sur les relations, pas simples, entre Matisse, son vieil ami, et Picasso. Matisse - qui, contrairement à Picasso, rendait heureux son entourage -, l'appelait « Sainte Françoise »...
Elle a ensuite épousé le peintre Luc Simon, avec qui elle a une fille, Aurélia. En 1970, elle se marie avec l'éminent docteur Jonas Salk, pionnier de la vaccination de la poliomyélite, avec qui elle a vécu jusqu'à la mort de celui-ci en 1995, dans le sud de la Californie, à La Jolla.
Par delà les vicissitudes de la vie, Françoise Gilot n'a jamais sacrifié son travail artistique qu'elle poursuit avec passion en dépit du grand âge. Elle fait le lien entre l'école de Paris des années 50 et la scène américaine, exposant ses peintures, dessins ou estampes dans de nombreux musées et collections privées, d'Europe et des Etats-Unis. Elle a aussi illustré des livres de Paul Eluard ou de Jacques Prévert.