Les grandes étapes de l'œuvre de Picasso
Dépêche diffusée par l'AFP le jour de la mort de Picasso, le 8 avril 1973.
PARIS 8 avril (AFP) - L'immense production de Pablo Picasso résume le destin de la peinture moderne : elle commence vers 1898 par des dessins dans le style des illustrateurs anglais de la fin du siècle. La couverture d'un menu pour le restaurant « Des Quatre Chats », à Barcelone, illustre cette époque.
La première exposition à Paris, en 1901, l'année de la mort de Toulouse-Lautrec, montre un Picasso qui regarde du côté de l'impressionnisme et de Van Gogh. « L'enterrement de Casagemas », au musée d'art moderne de la ville de Paris, date de cette année décisive.
Les périodes dites « bleue » et « rose » abondent en chefs-d’œuvre. Les toiles les plus belles des premières années parisiennes se trouvent dans les musées américains et soviétiques : « Les Bateleurs » (Washington) est l’œuvre la plus importante de Picasso pour la période pré-cubiste, elle est l'aboutissement de toutes ses études sur les gens du cirque, les acrobates et les arlequins.
Mais, si l'on ne devait citer qu'un seul tableau de Picasso, ce serait certainement « Les Demoiselles d'Avignon » (1907) car c'est de cette peinture que date le cubisme. Dans cette œuvre, il fait table rase, il réinvente la peinture. Aidé par l'exemple de Cézanne dont il vient de voir la rétrospective (1907) au Salon d'automne, Picasso oriente la peinture vers la construction, l'affirmation des plans, de la géométrie. L’œuvre accrochée au musée d'art moderne de New York déconcertera les meilleurs amis du peintre et ne sera comprise que lentement.
Le premier paysage cubiste, « L'usine à Horta de Ebro » (Leningrad), « Le portrait d'Ambroise Vollard » (Moscou) précèdent les natures mortes aux guitares où Picasso et Braque se complaisent un temps. Dans ces tableaux où le papier collé et les lettres figurent souvent à partir de 1911 et 1912, Picasso rend la lecture de ses tableaux plus facile. Il affirme l'existence de la réalité. Il revient aux arlequins vers 1920 mais ils sont stylisés.
Picasso travaille pour l'impresario de ballet Serge Diaghilev. C'est l'époque du retour au dessin classique qui a été souvent comparé à celui d'Ingres. Le célèbre portrait au crayon de (Erik) Satie, celui de (Igor) Stravinsky, le portrait d'Olga (une danseuse qui est sa compagne), datent des années 20.
Picasso va à Rome et passe ses vacances sur la Côte d'Azur. Il peint des baigneuses aux formes lourdes vêtues de tuniques à plis, des centaures, des joueurs de flûte. Cette invocation très libre de la Grèce antique, cette mythologie réinventée est un hommage à la Méditerranée, à l'art classique, symbole de stabilité. L'harmonie ne durera pas longtemps, Picasso est un inquiet, un angoissé.
Il s'approche de plus en plus de l'abstraction. Il peint vers 1930 des figures qui n'ont plus forme humaine, les yeux sont placés arbitrairement, les membres s'allongent, l'artiste subit l'influence des surréalistes. Il apporte dans cette recherche son sens très espagnol des monstres, un goût évident de la caricature tragique, une âpreté qui est celle de ses origines.
Il revient à un art plus compréhensible, plus personnel avec les gravures de la série du minotaure mais l’œuvre charnière, c'est « Guernica ». La guerre d'Espagne va fixer le destin politique de Picasso qui, jusque-là, avait attaché peu d'importance à l'ordre des choses. La guerre civile fait de ce nationaliste farouche un ardent républicain.
Picasso ne retournera jamais en Espagne, il n'acceptera jamais de changer sa nationalité. Avec « Guernica », les monstres arbitraires de la période surréaliste redeviennent des êtres humains déformés, torturés, le taureau est le symbole de la mise à mort de l'Espagne. La mythologie propre à Picasso est alors comprise de tous, sa notoriété dépasse le simple domaine de la peinture, Picasso reste dans Paris occupé.
Il peint des visages où la face et le profil se superposent, des objets proches auxquels il donne une force expressive qui étonnèrent quand, à la Libération, il montra sa production de quatre ans au Salon d'automne.
Son engagement politique s'exprime à nouveau en 1952 par une grande fresque « La guerre et la paix » destinée à une chapelle désaffectée de Vallauris. Cette œuvre ambitieuse n'atteindra jamais la célébrité de « Guernica ».
La dernière période de Picasso, celle des « Mousquetaires », montre un art rapide, la peinture devient signe, elle est à la limite de la caricature. Picasso se moque des vieillards chamarrés. Il ne peint plus un tableau mais des séries entières sur le même thème.
Comme il avait fait « Colombes » et des « Déjeuners sur l'herbe », il montre l'horreur de vieillir dans ces personnages affreux, couverts de rubans, aux visages fatigués ceints d'une fraise de mousquetaire et coiffés de somptueuses perruques. La peinture de Picasso a toujours été autobiographique.
- Picasso et la tauromachie (vidéo INA)