"I have a dream" : le rêve de Martin Luther King

Le 28 août 1963, la « Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté » marque l'apogée du mouvement non violent pour les droits civiques, cent ans après l'abolition de l'escalavage par Abraham Lincoln.
Quelque 250.000 Américains, dont 80% de Noirs, défilent en faveur de l'intégration raciale. La marche se termine devant le Lincoln memorial où de nombreux orateurs, dont Daisy Bates et Josephine Baker, se succèdent à la tribune. Martin Luther King, qui prend la parole en dernier, prononce son célèbre discours « I Have a dream » dont voici un extrait, tiré d'une dépêche de l'AFP.
WASHINGTON, 28 août 1968 (AFP) - « Il y a un siècle de cela, un grand Américain qui nous couvre aujourd'hui de son ombre symbolique signait notre acte d'émancipation. Cette proclamation historique faisait, comme un grand phare, briller la lumière de l'espérance aux yeux de millions d'esclaves noirs marqués au feu d'une brûlante injustice (...)
Mais cent ans ont passé et le Noir n'est pas encore libre. Cent ans ont passé et l'existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination (...)
Il n'y aura plus ni repos ni tranquillité en Amérique, tant que le Noir n'aura pas obtenu ses droits de citoyen (...) Ne cherchons pas à étancher notre soif de liberté en buvant à la coupe de l'amertume et de la haine.
Je vous le dis ici et maintenant, mes amis : même si nous devons affronter des difficultés aujourd'hui et demain, je fais pourtant un rêve. Je rêve qu'un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité. Je rêve que mes quatre enfants vivent un jour dans un pays où on ne les jugera pas d'après la couleur de leur peau, mais selon la nature de leur caractère. J'ai fait un rêve aujourd'hui !
Quand nous ferons en sorte que la cloche de la liberté puisse sonner, quand nous la laisserons carillonner dans chaque village et chaque hameau, dans chaque Etat et dans chaque cité, nous pourrons hâter la venue du jour où tous les enfants du Bon Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les gentils, les catholiques et les protestants, pourront se tenir par la main et chanter les paroles du vieux " spiritual " noir : " Libres enfin. Libres enfin. Merci Dieu tout-puissant, nous voilà libres enfin ! " ».
De l'intervention de Martin Luther King, on a surtout retenu le passage "I have a dream" mais le discours était en réalité bien plus offensif et a failli ne jamais être prononcé. Le président Kennedy qui préparait sa loi sur les droits civiques avait essayé de convaincre les organisateurs d'annuler la manifestation, par peur des émeutes. Une dépêche écrite en 2013 pour la commémoration des 50 ans du discours nous en explique les raisons.
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WASHINGTON, 28 août 2013 (AFP) - C'est la phrase la plus célèbre d'un des plus grands discours de l'histoire américaine, pourtant, Martin Luther King n'avait jamais prévu de prononcer "Je fais un rêve" quand il s'est adressé aux manifestants des droits civiques il y a 50 ans.
M. King était le dernier orateur de la journée quand il a pris la parole le 28 août 1963 devant l'immense foule des 250.000 personnes de la "Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté" réunies autour du mémorial de Lincoln et sur le Mall, cette grande pelouse dans le centre de la capitale.
Le fameux pasteur baptiste de Georgie (sud-est) tient dans ses mains un texte qu'il a finalisé avec ses proches la nuit précédente. Et la phrase "Je fais un rêve" n'y figure pas.
"En dépit de tout ce que King avait préparé, la partie de son discours qui allait entrer dans l'histoire a été ajoutée de manière tout à fait improvisée quand il s'est trouvé sur les marches du mémorial de Lincoln, en train de parler avec ferveur à la foule", raconte l'éditorialiste du quotidien britannique Guardian Gary Younge, dans un extrait de son livre sur "Le discours" ("The Speech").
King avait déjà utilisé ces mots, notamment dans un sermon prononcé à Detroit (Michigan, Nord) et enregistré par la maison de disque Motown deux mois plus tôt.
Mais son conseiller Wyatt Walker lui suggéra de ne pas les reprendre, considérant l'expression comme "plate", un "cliché" qui ne méritait pas un tel événement national télévisé.

King, présenté sur le Mall comme "le chef moral de notre nation" confia la même année à l'étudiant Donald Smith qu'il avait "décidé soudainement" d'invoquer le rêve.
Il aura pu aussi être influencé sur place par la chanteuse de gospel Mahalia Jackson, intervenue plus tôt dans la journée, quand elle lui a crié: "Racontez-nous le rêve, Martin !"
"J'ai juste senti que je voulais l'utiliser", a raconté King à Smith, qui a ensuite écrit une thèse sur les discours de Martin Luther King. "Je ne sais pas pourquoi. Je n'y avais jamais pensé avant ce discours". (...)
Mais King n'a pas seulement prononcé ces mots un jour d'été à Washington devant des manifestants noirs. Il a aussi été entendu et vu en direct par beaucoup de téléspectateurs blancs.
"Pour la première fois, des auditeurs majoritairement blancs entendaient le bien fondé indéniable des revendications des Noirs", explique Julian Bond, président à l'époque de l'organisation de défense des Noirs (NAACP), cité dans le magazine du Smithsonian en 2003. (...)