Du boycott des bus aux grandes marches, la résistance passive des Noirs
En 1954, la Cour suprême met fin à 60 ans de ségrégation légale dans les écoles et universités. Un verrou symbolique a cédé. Cette décision ouvre la voie à l'adoption progressive de nouvelles lois contre la ségrégation. La lutte jusqu'alors menée par des avocats sort des tribunaux et devient, sous le patronage de Martin Luther King, l'affaire de tous. Les Noirs vont utiliser la désobéissance pacifique ainsi que leur poids économique pour s'opposer aux lois injustes.
C'est une couturière noire qui va déclencher le premier mouvement de résistance passive. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, fatiguée par une journée de travail, s'assoit sur un siège d'autobus traditionnellement réservé aux Blancs à Montgomery dans l'Alabama, un Etat du Sud ségrégationniste.
Quatre jours plus tard, lorsqu'elle est condamnée à une amende, les Noirs décident de boycotter les bus municipaux. Un jeune pasteur, Martin Luther King, responsable d'une église baptiste de Montgomery, prend la tête du mouvement. Le boycott va durer 381 jours, de nombreux militants sont battus, emprisonnés. Rosa Parks et son époux perdent leur travail et doivent quitter le Sud. La maison de Martin Luther King est quasiment détruite par une bombe. Il est lui-même condamné à de la prison. Mais le mouvement tient bon et obtient de la Cour suprême l'interdiction de la ségrégation dans les transports en commun en 1956.
Voici plusieurs exemples de lutte pacifique rapportées par les journalistes de l'Agence France-Presse :
- Protestation assise -
NEW YORK, 20 février 1960 (AFP) - Une nouvelle forme de lutte contre la discrimination raciale analogue à la résistance passive organisée en Inde par Gandhi a été déclenchée aux Etats-Unis par des étudiants noirs des Etats sudistes en vue de faire cesser la discrimination dans les restaurants.
La lutte est surtout dirigée contre les restaurants de type « cafétéria » où les repas sont servis au comptoir dans les Etats sudistes, seuls les Blancs sont autorisés à s'asseoir sur les tabourets pour manger au comptoir. Les Noirs doivent manger debout. S'ils s'assoient, ils ne sont pas servis.
C'est à Hampton (Virginie) que la résistance passive a commencé il y a quelques semaines. Un groupe d'étudiants noirs a occupé dès l'ouverture tous les sièges du comptoir et sont restés assis toute la journée jusqu'à la fermeture sans manger, empêchant les Blancs d'occuper les sièges. Le lendemain, ils ont recommencé.
Après trois jours de ce manège, qui portait préjudice aux affaires du restaurant, des étudiants blancs ont réagi, essayant d'occuper les sièges avant les Noirs. Des bagarres ont motivé la fermeture du restaurant. Le mouvement s'est rapidement étendu aux Etats sudistes et notamment à Raleigh (Caroline du Nord), à Chattanoga (Tennessee) et à Richmond (Virginie). Des Etats du Sud, la lutte a gagné en fin de semaine le Nord des Etats-Unis.
- Lutte à genoux -
NEW YORK, 15 août 1960 (AFP) - Poursuivant leur lutte pacifique contre la discrimination raciale dans les Etats du Sud, les Noirs américains ont lancé depuis une semaine une campagne contre la ségrégation dans les églises.
Cette nouvelle forme de "lutte à genoux" a provoqué quelques incidents dans plusieurs églises d'Atlanta et de Montgomery, capitales des Etats sudistes de Géorgie et d'Alabama. A Atlanta, une trentaine d'étudiants noirs qui s'étaient agenouillés parmi les Blancs dans quatre églises protestantes ont été obligés de sortir sur l'intervention des bedeaux. Ils sont restés à genoux à la porte des églises pour assister tout de même au service. La semaine dernière, 25 d'entre eux avaient été acceptés dans six églises « blanches » mais ont dû prendre place dans un endroit réservé aux « visiteurs de couleur ». (...)
- « Baigneurs de la liberté » -
CHICAGO, 16 juillet 1961 (AFP) - Vingt Noirs et cinq Blancs, appartenant à un groupe catholique pour l'égalité raciale, ont pris leur bain ensemble sur une des principales plages de Chicago, sur le lac Michigan, en dépit des règlements de ségrégation raciale. Le groupe est resté dans l'eau deux heures environ parmi les centaines de nageurs sans être inquiété. Quelque 200 jeunes Blancs qui les avaient encerclés un moment ont été dispersés par la police.
- Marches de protestation -
Des marches, souvent locales et organisées par des pasteurs, deviennent très fréquentes à partir de 1963. Elles ont lieu la nuit, le jour, plusieurs fois par jour. Le plus souvent interdites par les autorités locales, elles sont parfois violemment réprimées, comme celle de Selma, le 7 mars 1965.
Selma est une petite ville d'Alabama, dont la moitié de la population est noire.
Son gouverneur, George Walace, est un démocrate, fervent partisan de la ségrégation et grand opposant au pouvoir fédéral. En 1965, la loi n'interdit pas le droit de vote des Noirs mais l'Alabama, comme tous les Etats ségrégationnistes, impose des conditions telles que seuls 2% des Noirs de Selma votent. En février 1965, un Noir manifestant pour le droit de vote est mortellement blessé par des policiers. Le 7 mars, une marche est organisée.
SELMA, 8 mars 1965 (AFP) - Les matraques et les gaz lacrymogènes des policiers de l'Alabama ont empêché hier quelques 500 intégrationnistes noirs de Selma de marcher sur la capitale de l'Etat, Montgomery, distante de 80 kms, afin de protester contre l'inégalité entre Noirs et Blancs face au droit de vote. Le pasteur King, prix Nobel de la Paix, qui avait été l'un des organisateurs de cette marche a annoncé qu'une nouvelle tentative aurait lieu mardi.
Les manifestants, parmi lesquels de nombreux enfants, s'étaient rassemblés dans une des églises de Selma. (...) Les marcheurs devaient être suivis par des camions transportant du ravitaillement et du matériel de camping.
Sortis en ordre de l'église, les manifestants se heurtèrent une première fois à la police de la ville qui les dispersa mais ils se regroupèrent et réussirent à sortir de l'agglomération. En abordant un pont qui franchit la route de Montgomery, ils furent arrêtés par un barrage de « state troopers » qui les sommèrent de se disperser. Les manifestants continuant d'avancer, les policiers, portant casque et masque à gaz, les chargèrent à la matraque et au fouet puis lancèrent des grenades lacrymogènes. La foule se dispersa dans les champs, poursuivie par les policiers puis bientôt par la police montée. Les Noirs furent regroupés et reconduits dans leur quartier. Soixante-sept Noirs ont été blessés, avec des bras et des jambes cassés ou des fractures du crâne.
Toutes ces scènes se sont déroulées en présence d'une foule de Blancs, maintenus à distance par un cordon de police et qui encourageaient à coup de grands cris les forces de l'ordre. (...) Le pasteur King a lancé un appel « aux chefs religieux de la nation entière » pour qu'ils se joignent aux Noirs de Selma pour une nouvelle marche (...).