Ce que le droit doit à Napoléon

Par Alain JEAN-ROBERT

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Avocat portant des codes civils devant le palais de justice de Nantes en 2014 - Jean-Sébastien Evrard - AFP
Avocat portant des codes civils devant le palais de justice de Nantes en 2014. Jean-Sébastien Evrard - AFP

Le code civil fait aujourd'hui figure de principal legs de Napoléon à la société française, comme l'illustre cette dépêche :

PARIS, 10 avril 2021 (AFP) - « Ma vraie gloire n'est pas d'avoir gagné quarante batailles. Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n'effacera, ce qui vivra éternellement, c'est mon code civil ! », confie en 1815 l'empereur déchu Napoléon.
Promulgué le 21 mars 1804, le code civil, baptisé « code civil des Français » avant de devenir « code Napoléon », demeure la base du droit civil en France.
Il a constitué une révolution juridique en organisant, pour la première fois, les relations entre l’État et les citoyens et en soulignant « la non-confessionnalité de l’État », premier pas vers la laïcité.

En mettant fin au règne des coutumes et des traditions avec l'abolition des droits féodaux, la fin des privilèges de la noblesse, le code civil a été, malgré ses imperfections, un facteur d'égalité des citoyens devant la loi.

Reste que ses articles aujourd'hui supprimés sur les femmes apparaissent d'une misogynie incroyable.

Le « code civil des Français » est d'abord fait pour des hommes « propriétaires, mariés et pères de famille », selon Robert Badinter, ministre de la Justice dans les années 1980 sous François Mitterrand.

Au nom de la famille et de sa stabilité, le « code Napoléon » a consacré l'infériorité de la femme mariée face à l'homme. L'épouse côtoie les mineurs et les fous au rang d'« incapable », se voit privée de tous ses droits civils du jour de son mariage.

L'article 213 original du « code Napoléon » définit ainsi les relations entre époux : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ».

Il faudra attendre 1970 pour que cet article soit modifié pour désormais prévoir que « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille, pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir ».

« Par certains aspects, le code de 1804 est un code conformiste, qui se veut expressément conforme aux mœurs, et un code minimaliste, qui privilégie l'héritage de la tradition juridique par rapport à la volonté créatrice », analyse l'historien du droit Jean-Louis Halpérin dans « L'impossible code civil ».

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La ministre de la Justice Christiane Taubira à l'Assemblée nationale en 2013 - Joël Saget - AFP
La ministre de la Justice Christiane Taubira à l'Assemblée nationale en 2013. Joël Saget - AFP

 « Le bon père de famille » -

En 1800, Bonaparte, alors Premier consul, charge quatre juristes (Portalis, Maleville, Tronchet et Bigot de Préameneu, tous formés sous l'Ancien régime) de rédiger un avant-projet.

Dès 1801, le projet est débattu devant le Conseil d’État. Sur 107 séances, 55 sont présidées par Bonaparte qui n'hésite pas à donner son avis et trancher quand il le faut.

Le Premier consul intervient fréquemment, en particulier sur les articles concernant le droit de la famille ou encore l’égalité des enfants en matière d’héritage, insistant pour mettre fin au droit d'aînesse.

Le code a bien résisté au temps. Près de la moitié des 2.281 articles d'origine ont été conservés.

Mais le vieux code Napoléon a aussi beaucoup évolué, avec notamment la reconnaissance du divorce par consentement mutuel en 1975, la suppression de la distinction entre enfants naturels et légitimes en 2005, la légalisation du mariage pour tous en 2013. En 2014, c'est l'expression désuète « en bon père de famille » qui a disparu du code, remplacée par l'adverbe « raisonnablement ».

Le droit de propriété, « pierre angulaire du nouvel ordre social », selon Robert Badinter, a, lui aussi, changé de visage. A la terre se sont ajoutées les valeurs mobilières, la propriété intellectuelle.

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Manuscrits originaux ayant appartenu à Jean-Etienne-Marie Portalis (1746-1807), un des artisans du Code Civil, photographiés en 2012 à Marseille - Anne-Christine Poujoulat - AFP
Manuscrits originaux ayant appartenu à Jean-Etienne-Marie Portalis (1746-1807), un des artisans du Code Civil, photographiés en 2012 à Marseille. Anne-Christine Poujoulat - AFP

En outre, l'animal considéré à l'origine comme un « bien meuble » attaché à son propriétaire, est reconnu, depuis 2015, comme « être vivant doué de sensibilité » tandis que le droit au changement de sexe est codifié depuis 2016.