Royaume-Uni et UE : un mariage de convenance tourmenté
Par Ouerdya AIT ABDELMALEK

Le 23 juin 2016, les Britanniques décident par référendum de quitter l'Union européenne, une première historique. L'AFP revient le lendemain sur l'histoire des relations entre l'Europe et les Britanniques.
LONDRES, 24 juin 2016 (AFP) - Les Britanniques ont choisi jeudi le divorce avec l'UE, ultime épisode de la relation tourmentée qu'ils ont entretenue depuis des décennies avec l'Union européenne, rejointe davantage par raison que par sentiment.
« Le Royaume-Uni considère en général l'Europe d'un point de vue transactionnel, en termes de ce qu'il peut en obtenir. Donc les Britanniques ne se sont jamais engagés affectivement avec l'UE », résumait avant le référendum Tim Oliver, spécialiste en politique étrangère de la London School of Economics.
Pour commencer, le Royaume-Uni n'a pas vu l'intérêt d'adhérer au dessein initial, conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale comme un projet de réconciliation entre les différents protagonistes du conflit. N'est-il pas sorti vainqueur de la guerre, aux côtés des Etats-Unis et de l'Union soviétique ? En outre, ses regards sont tournés vers l'allié américain et ses anciennes colonies réunies dans le Commonwealth.
La dimension politique du projet, déjà présente, n'enthousiasme guère non plus ses dirigeants, qui voient d'un mauvais œil la possibilité que des instances européennes viennent supplanter la chambre des Communes, célébrée comme « la Mère des Parlements ». Londres se veut toutefois un « parrain bienveillant » de ces projets d'intégration, selon Pauline Schnapper, professeur de civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne. En témoigne le discours de Zurich de Winston Churchill, en 1946, qui appelle à la création d'« Etats-Unis d'Europe », que Grande-Bretagne, Commonwealth, Etats-Unis et URSS doivent « défendre ».
Au début de années 1960, la donne change : la croissance économique britannique est à la traîne. Le Marché commun devient dès lors plus attrayant et décision est prise d'y entrer. Mais ce n'est pas sans peine que le pays va y parvenir.

- « I want my money back » -
Une première candidature déposée en 1961 par le Premier ministre conservateur Harold Macmillan se heurte au veto du général de Gaulle, qui voit dans les Britanniques le « cheval de Troie » des Américains et met en doute leur esprit européen. Une vexation qui va durablement marquer les esprits.
Après un nouveau veto du dirigeant français en 1967, ce n'est qu'en 1973 que le Royaume-Uni entre finalement dans la CEE. Soit trop tard « pour façonner l'union à leur guise », souligne Sunder Katwala, directeur du think tank « British Future ».
Cela coïncide aussi avec le premier choc pétrolier, et le coup d'accélérateur économique espéré n'a pas lieu.
En 1975, consultés par référendum sur leur appartenance à l'UE par un gouvernement travailliste, les Britanniques sont toutefois plus de 67% à répondre qu'ils veulent y rester.
Mais ce résultat est loin de lever l'ambiguïté qui prévaut dans leur relation avec l'UE. Et les crises ne vont pas tarder.
La première a lieu en 1979 : Londres refuse de participer au système monétaire européen au nom de sa souveraineté nationale et monétaire.
Dès lors, toute initiative de renforcement de l'intégration des pays membres se heurte au refus britannique. En 1985, c'est le refus de participer aux accords de Schengen, en 1993, le pays obtient de ne pas rejoindre la monnaie unique européenne.
Une politique théorisée par Margaret Thatcher lors d’un discours au Collège de Bruges en 1988 où elle rejette l'idée « d’un super-État européen exerçant sa domination depuis Bruxelles ».
Quatre ans plus tôt, la dirigeante conservatrice avait enfin obtenu le rabais sur la contribution britannique au budget européen qu'elle réclamait au cri de « I want my money back » (« je veux qu'on me rende mon argent »).

- « Même pas peur » -
Thierry Chopin, directeur des études de la Fondation Robert Schuman, souligne que les Britanniques ont toujours eu « une logique d'optimisation de leurs intérêts nationaux » vis-à-vis de la construction européenne.
« C'est ce qui explique qu'ils ont été très allants pour approfondir et élargir le marché intérieur, et pour tout le reste, sur la politique monétaire ou la justice et les affaires intérieures, ils ont cherché à obtenir des régimes dérogatoires », ajoute-t-il.
Le Royaume-Uni s'est ainsi retrouvé « exclu de nombre de débats qui structurent aujourd'hui l'UE, en particulier sur la zone euro », souligne Tim Oliver.
La défiance envers Bruxelles s'est accentuée depuis le milieu des années 1990, avec la création de l'Ukip, un parti qui prône la sortie de l'UE. Ses succès électoraux, en particulier au scrutin européen de 2014, ont conduit le parti conservateur, dont une large frange est déjà eurosceptique, à durcir son discours.
« La crise de la zone euro, l'immigration à grande échelle (en provenance de l'UE) et la crise des réfugiés » ces dernières années ont contribué à la radicalisation du débat, souligne l'historien Robert Tombs, car « l'UE est vue comme ayant échoué ».
C'est dans ce contexte que le Premier ministre David Cameron, lui-même eurosceptique mais qui défend le maintien dans l'UE au nom des intérêts économiques de son pays, fait la promesse en janvier 2013 d'organiser un référendum s'il remporte les élections législatives de 2015 (il démissionnera après le Brexit).
« Ce n'est pas que les Britanniques aiment moins l'Europe que les autres », souligne M. Tombs, mais « le Royaume-Uni n'a jamais vraiment intériorisé le " projet européen " en raison de son histoire différente au XXe siècle. Alors il a moins peur des conséquences d'une sortie ».
Face à des Britanniques très divisés, la négociation des conditions de sortie du Royaume-Uni de l'UE s'avère tellement chaotique que rien n'est réglé le jour prévu pour le Brexit, le 29 mars 2019. Après trois reports, le Brexit devient effectif le 31 janvier 2020 à minuit.