Le couple franco-allemand, moteur de la construction européenne

Si l'Europe a fini par réunir 28 pays (avant la sortie du Royaume-Uni), deux anciens ennemis héréditaires, la France et l'Allemagne, ont particulièrement impulsé cette construction, incarnée par plusieurs couples de dirigeants emblématiques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la réconciliation franco-allemande ne va pas de soi, entre deux peuples trois fois en conflit depuis 1870.
Des initiatives en faveur de leur rapprochement apparaissent toutefois rapidement, notamment des rencontres d'étudiants organisées dès 1946.
En 1949, Konrad Adenauer, premier chancelier de la nouvelle République fédérale d'Allemagne, déclare que « l'hostilité franco-allemande, qui domine la vie politique européenne depuis des centaines d'années, doit être enterrée ».
Des liens économiques commencent à se tisser dans les années 50, au sein de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) puis de la Communauté économique européenne (CEE).
La réconciliation des deux pays est scellée en 1962 par le général Charles de Gaulle, ancien chef de la France libre devenu président, et le chancelier Adenauer à la cathédrale de Reims, ville de la reddition nazie.
La même année, de Gaulle parcourt la Rhénanie, acclamé par des milliers d'Allemands enthousiastes. C'est le premier chef d'Etat français à y remettre les pieds depuis Napoléon.
En janvier 1963 est signé le Traité de l'Elysée, où les deux pays s'engagent à des consultations régulières sur toutes les questions essentielles de politique étrangère, défense et sécurité, jeunesse et culture, donnant notamment naissance à l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ), qui permettra de nombreux échanges.
L'amitié franco-allemande s'intensifie au fil des décennies grâce à des couples de dirigeants qui ont marqué la construction européenne: outre de Gaulle et Adenauer, Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt (Système monétaire européen), Helmut Kohl et François Mitterrand (Traité de Maastricht créant l'euro), Gerhard Schröder et Jacques Chirac (projet de Constitution européenne, qui échoue), Nicolas Sarkozy et Angela Merkel (Fonds européen de stabilité financière).

Du rapprochement découlent de nombreuses réalisations: conseils des ministres communs, brigade franco-allemande, manuel scolaire d'histoire franco-allemand, la chaîne de télévision Arte...
Si le rôle moteur de ce binôme fait grincer des dents leurs partenaires européens, la France et l'Allemagne ne sont pas toujours sur la même longueur d'onde, en raison de différences profondes de culture politique, économique et diplomatique.
Cela se traduit par des tensions, par exemple quand la France quitte le commandement intégré de l'OTAN de 1966 à 2009, mais que l'Allemagne affiche son atlantisme, quand Mitterrand est d'abord réticent face à une réunification allemande après la chute du mur de Berlin, ou plus récemment des divergences entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz sur l’énergie et la défense.
La réconciliation franco-allemande est symbolisée par des gestes historiques, comme Kohl et Mitterrand se tenant la main en 1984 à Verdun, théâtre de la plus terrible bataille de la Première Guerre mondiale.

Autres moments forts, des soldats allemands de l'Eurocorps participant au défilé du 14 juillet 1994 à Paris sur les Champs-Elysées, là où la Wehrmacht paradait sous l'Occupation chaque jour à midi. Ou Schröder prenant la parole sur les plages de Normandie en 2004 pour commémorer le 60e anniversaire du débarquement allié contre les nazis.
En 2013, les présidents français François Hollande et allemand Joachim Gauck accomplissent ensemble une visite historique au village d'Oradour-sur-Glane, symbole des atrocités commises durant l'occupation allemande. Le 10 juin 1944, la division SS « Das Reich » y a massacré 642 habitants, dont les femmes et les enfants brûlés dans l'église.
Cette visite est « la suite logique de la construction européenne », et surtout le bon moment, selon Robert Hébras, l'un des rares villageois à avoir survécu, sous les corps mitraillés de ses camarades. « Avant, ça aurait été trop tôt », dit l'ancien résistant qui a été longtemps « habité par la haine et la vengeance ».