Après les attentats, les musulmans se sentent mal aimés

 

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Mosquée à Bridgeview dans la banlieue de Chicago, le 13/09/2001 - John Zich - AFP
Mosquée à Bridgeview dans la banlieue de Chicago, le 13/09/2001. John Zich - AFP

Par Jacques CHARMELOT

Les musulmans américains ont rapidement condamné les attentats du 11-Septembre, participant aux veillées de prière pour les victimes. Mais ils ont également vécu dans la crainte de devenir des boucs émissaires dans un pays traumatisé.

NEW YORK, 18 septembre 2001 (AFP) - « J'ai peur. Nous avons tous peur ». Avec son turban marron et sa barbe noire, Mohammed Khan, un Pakistanais de 43 ans, est devenu la victime de ce que de plus en plus de musulmans aux Etats-Unis redoutent : la haine raciale.

Et dans la communauté musulmane, notamment parmi les Américains d'origine arabe, des voix s'élèvent pour s'interroger sur la réalité de ce qui fut toujours présenté comme une des forces de la nation américaine, sa capacité à se nourrir de cultures différentes : le « melting pot ».

Mohammed Khan, un interprète de 48 ans, a été agressé dans le quartier du Queens, à l'est de Manhattan. « J'ai été attaqué hier par un groupe de jeunes gens du côté de Flatbush. Ils m'ont insulté. Ils m'ont frappé », raconte-t-il à un journaliste de l'AFP devant une des mosquées de New York dans le quartier chic de l'Upper East Side.

Mais, dans son malheur, Mohammed Khan a été plus heureux que Balbir Singh Sodhi, Hassan Waquar ou Adel Karas.

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Musulmanes en pleurs dans une salle de prière à Los Angeles le 14/09/2001 - Lee Celano - AFP
Musulmanes en pleurs dans une salle de prière à Los Angeles le 14/09/2001. Lee Celano - AFP

- Ignorance -

Tous les trois ont été tués dans l'Arizona, le Texas et la Californie depuis les attaques terroristes du 11-Septembre.

Dans les trois cas, la police soupçonne que ces trois Américains sont morts parce qu'ils étaient Indien, Pakistanais et Egyptien. Et que la couleur de leur peau, leur accent, leur coiffure ou leur vêtement trahissaient leur origine.

« Il y a tellement d'ignorance dans ce pays », commente Anissa Bouziane, écrivain et cinéaste d'origine marocaine établie depuis toujours à New York.

Pour elle, ceux qui s'attaquent à des musulmans dans les rues des villes américaines le font parce qu'ils n'arrivent pas à diriger leur colère et leur désir de vengeance contre une cible précise.

« Ils ont affaire à un ennemi invisible », explique-t-elle au téléphone avec l'AFP. « Et ils ont peur ».

Face à cette montée d'une violence qui semble irrationelle mais qui est alimentée par les stéréotypes et le schématisme antimusulman largement répandus dans la presse américaine, le président George W. Bush a jugé nécessaire de monter en premier ligne.

Il s'est rendu la veille au centre islamique de Washington et après avoir enlevé ses chaussures en respect des traditions musulmanes, il a cherché à dissocier les attentats du 11 septembre de la religion de ceux qui les ont perpétrés.

« Ces actes de violence contre des innocents sont en violation des principes fondamentaux de l'islam », a-t-il déclaré. « Le visage de la terreur n'a rien à voir avec l'islam ».

Cette mise au point est d'autant plus nécessaire que les actes de violences contre les musulmans, encore contenus, n'en sont pas moins en augmentation et le directeur du FBI Robert Mueller a indiqué que 40 actions en justice avaient été ouvertes sur des cas de cette nature.

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Un commerce musulman fermé à Brooklyn, New York, le 13/09/2001 - Henny Ray Abrams - AFP
Un commerce musulman fermé à Brooklyn, New York, le 13/09/2001. Henny Ray Abrams - AFP

- Cas isolés -

« Ce sont des cas spontanés, isolés, sans lien entre eux. Il s'agit d'individus qui agissent de façon irrationnelle », commente Hussein Ibish, un des responsables du Comité des arabes américains contre la discrimination. « Il s'agit d'un petit nombre d'Américains qui ne savent pas gérer leur colère ».

Mais cette volonté de ne pas envenimer la situation cache mal une inquiétude fondamentale, alimentée par un environnement culturel et médiatique, notamment dans le cinéma et la télévision, qui par tradition décrit les Arabes sous les traits d'illuminés sanguinaires prêts à mourir et à tuer.

« Des mesures drastiques seront nécessaires pour éviter que des Arabes soient tués dans les rues des villes américaines si l'administration Bush va de l'avant avec les projets qu'elle évoque », a-t-il souligné, en référence aux options militaires étudiées à Washington.

Mais pour beaucoup, ces mesures de protection, éventuelles ou déjà prises, de communautés qui se considérent comme parfaitement intégrées dans la nation américaine et venues aux Etats-Unis pour y réaliser un rêve de liberté et de bien-être constituent un réveil brutal. « Les Etats-Unis sont isolés culturellement », souligne Mme Bouziane et « le melting pot devient un mythe ».