Vivre après Ebola

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Soignants en tenue de protection anti-Ebola à Monrovia en 2014 - Dominique Faget - AFP - Dominique Faget - AFP
Soignants en tenue de protection anti-Ebola à Monrovia en 2014. Dominique Faget - AFP

Par Rod MAC JOHNSON

La plus grave épidémie d'Ebola a atteint l'Afrique de l'Ouest entre 2013 et 2016, tuant 11.300 personnes. Après cet épisode, il a été difficile pour de nombreux malades et soignants de reprendre le cours normal de leur vie comme en témoigne ce reportage :

Freetown (Sierra Leone), 13 janvier 2016 (AFP) - Abandonnés par leurs proches, contraints à des déménagements à répétition, ostracisés... Ils ont beau avoir vaincu Ebola, leur combat contre le virus mortel a laissé des traces chez les survivants et membres des services de santé ou de secours.

En Sierra Leone, le pays qui compte pour près de la moitié des cas de l'épidémie en Afrique de l'Ouest selon le bilan officiel - 14.122 sur 28.637 - la transmission du virus est déclarée terminée depuis le 7 novembre.

Mais pour Yenoh Sesay, une survivante de 25 ans, cette annonce n'a pas changé grand-chose.

« Je pensais qu'avec la fin d'Ebola et le retour à la vie normale, mon mari allait me laisser rentrer au foyer conjugal. Mais cela fait trois mois maintenant que je suis guérie et j'attends toujours », soupire-t-elle.

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Comment le virus Ebola s'attaque à l'homme - John Saeki, Adrian Leung - AFP John Saeki/Adrian Leung - AFP
‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ Comment le virus Ebola s'attaque à l'homme                        .John Saeki/Adrian Leung - AFP

« Il a dit à la famille qu'il ne me reprendrait pas, parce qu'il n'est pas certain que je sois complètement guérie et que ses amis se moqueraient de lui », explique la jeune femme.

Lors d'une allocution nationale en octobre, à 21 jours (la durée maximale d'incubation du virus) de la fin de l'épidémie, le président Ernest Bai Koroma avait appelé ses concitoyens à « ne pas se laisser guider par la peur et l'ignorance » à l'égard des milliers de survivants, « qui sont nos héros ».

« Il faut savoir que nous ne risquons rien à nous asseoir à leurs côtés et à prier avec eux à l'église ou à la mosquée, à leur acheter des fruits au marché, ou à manger avec eux », avait-il affirmé.

La stigmatisation des survivants, un temps considérés comme définitivement immunisés contre Ebola, s'est aggravée depuis la découverte qu'ils pouvaient continuer à transmettre la maladie bien après leur guérison, le virus subsistant parfois des mois dans certains liquides corporels, notamment le sperme.

« Au début, quand je suis sorti du centre de traitement, tout s'est bien passé », se souvient Momoh Sesay, un agriculteur de Kambia, ville commerçante du nord-ouest du pays, qui a perdu deux épouses et quatre enfants dans l'épidémie.

« Mais dès que la nouvelle s'est répandue que certains survivants pouvaient garder le virus dans leur sperme, beaucoup de mes meilleurs amis me saluaient de loin avant de passer leur chemin », raconte-t-il.

 

 

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Transfert du corps d'une victime d'Ebola près de Monrovia en 2014 - Dominique Faget - AFP - Dominique Faget - AFP
Transfert du corps d'une victime d'Ebola près de Monrovia en 2014 - Dominique Faget.- Dominique Faget - AFP

« Le type des cadavres d'Ebola » : Cet ostracisme a également touché d'autres héros de la lutte contre Ebola, les membres des services de santé - parmi lesquels 307 ont été contaminés en Sierra Leone, dont 221 ont péri - et de secours.

Victor Koroma, membre d'une des équipes chargées de l'enterrement des corps des morts d'Ebola, une mission cruciale car les funérailles constituaient un des principaux vecteurs de transmission du virus, a dû déménager à six reprises, à chaque fois après que son logeur ou les voisins eurent appris comment il gagnait sa vie.

« Parfois, on m'appelait ouvertement " le type des cadavres d'Ebola " et comme ce surnom persistait, je devais partir. D'autres fois, c'était le propriétaire qui augmentait soudainement le loyer, parfois de trois fois », indique-t-il.

Helen Matturi a également rejoint une équipe de « traitement des corps », mise en place par la Croix-Rouge, pour « préserver la dignité des femmes dans la mort », explique-t-elle.

Peu après, un matin, son fiancé est parti travailler, pour ne jamais revenir. « Lorsque des amis l'ont retrouvé et lui ont demandé pourquoi il avait abandonné la maison où nous vivions ensemble, il a répondu: " Je ne veux pas d'une famille Ebola " », dit-elle.

« Je rencontre toujours des difficultés avec des gens qui, lorsqu'ils me reconnaissent, se détournent et font semblant de parler à quelqu'un d'autre, surtout quand je vais acheter de la nourriture près de la morgue centrale d'où je partais comme conducteur d'ambulance », se désole Joseph Lamin.

« Je me demande combien de temps ça va durer », ajoute-t-il, « je trouve ça injuste de continuer à souffrir ainsi, alors que je rendais service au pays ».

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Le virus Ebola - AFP