L'empreinte des épidémies sur les sociétés
Par Olivier THIBAULT
Les grandes épidémies ont eu des répercutions importantes sur le cours de l'histoire, bouleversé la vie des hommes et modifié en profondeur les sociétés.
Par exemple, la « Peste justinienne », entre le 6e et le 8e siècle, associée à un refroidissement des températures, a eu pour conséquence d'accélérer la chute de l'empire romain, selon l'historien américain Kyle Harper.
En mars 2020, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sonne l'alerte et classe l'épidémie de Covid-19 comme pandémie. L'AFP s'interroge alors sur les traces laissées par les grandes épidémies du passé :
PARIS, 15 mars 2020 (AFP) - Pays à l'arrêt, frontières bloquées, économies au ralenti, écoles fermées : en quelques semaines, le coronavirus a imprimé sa marque sur presque toute chose.
Quelles empreintes les grandes épidémies passées comme la « Grippe espagnole » de 1918 ou la « Peste noire » du XIVe siècle ont-elles laissées sur les sociétés ?
L'Europe à la fin du Moyen-âge ou au sortir de la Première Guerre mondiale n’a pas grand-chose à voir avec la société d'aujourd'hui, hyperconnectée et mondialisée.
« Mais une épidémie est toujours un moment de test pour une société et une époque », estime l'historien des sciences Laurent-Henri Vignaud, de l'Université de Bourgogne.
« Elle met en danger le lien social, déclenche une forme larvée de guerre civile où chacun se méfie de son voisin », souligne-t-il.
« Au stade où nous en sommes, cela donne ces scènes grotesques où des clients de supermarché se battent pour le dernier paquet de papier toilette… Plus tragiquement en Italie, des médecins doivent choisir de sauver un patient plutôt qu'un autre faute de matériel, comme en situation de guerre », selon M. Vignaud.
« Une distance minimale » : Instauration de quarantaines, invention de méthodes de désinfection : les grandes épidémies ont tout d'abord marqué « notre système sanitaire », explique l'historien et démographe Patrice Bourdelais, de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
La grippe dite « espagnole » à la fin de la Première Guerre mondiale a eu « un effet structurant sur l'histoire de la santé », souligne le géographe Freddy Vinet, de l'Université Paul Valéry de Montpellier.
Cette grande pandémie moderne avec ses 50 millions de morts a fait prendre conscience de la nécessité d'une gestion mondiale du risque infectieux et fait émerger une génération de jeunes médecins spécialistes des virus.
Les épidémies conduisent aussi à la désignation de boucs émissaires, selon cet historien. « Nous avons vécu un petit épisode de xénophobie contre les Chinois au début de la présente épidémie », rappelle-t-il.
Durant la grande épidémie de peste qui ravage l'Europe médiévale entre 1347 et 1351, les populations juives sont la cible d'attaques exacerbées, parfois de massacres comme en 1349 à Strasbourg, où près de 1.000 Juifs sont brûlés.
Les grands épisodes de peste induisent aussi des « réactions de type épicurien » de fuite en avant, de dépenses sans compter: « Les gens choisissaient le cabaret ou la taverne et vivaient chaque jour comme s'il devait être le dernier », rapportent les historiens britanniques William Naphy et Andrew Spicer dans l'ouvrage "La Peste noire, 1345-1730 ».
D'autres au contraire choisissent de se retirer du monde, comme le rapporte l'écrivain italien Boccace (1313-1375), qui dans son livre « Le Décaméron » raconte la réclusion volontaire de dix Florentins hors la ville pour échapper à la peste.
« Une coproduction » : « Une épidémie, c'est une coproduction entre nature et sociétés, entre microbes et humains. Un germe ne devient dangereux que dans certaines circonstances », souligne Laurent-Henri Vignaud.
Ainsi la peste noire ravage à la fin du XIVe siècle une « Europe en pleine forme où les échanges commerciaux sont intenses, les villes populeuses, les campagnes exploitées jusqu'à saturation », dit-il.
La peste profite de cette prospérité, y met fin et sonne l'arrêt du système de servage qui fondait la société médiévale, explique M. Vignaud.
En 1918, la pandémie grippale a des conséquences économiques « finalement assez faibles au regard des effets de la guerre en Europe », note Freddy Vinet. Une exception car en règle générale les épidémies ont des effets économiques importants, « interrompant les échanges » et « réorientant le commerce vers d'autres voies », selon M. Bourdelais.
A l'époque médiévale, il est probable que la répétition des épidémies de peste sur le bassin méditerranéen ait profité au développement des villes du nord de l'Europe, souligne-t-il.
Aujourd'hui, des crises sanitaires à répétition en Chine, centre manufacturier de la planète, pourraient inciter à diversifier les sites de production et d'approvisionnement, ajoute-t-il.