Napoléon : sublime ou détestable?

Par Olivier Thibault :
Plus de deux siècles après sa mort, « l'empereur des Français », mort en exil à 51 ans après avoir dominé l'Europe, suscite toujours autant la controverse.
Principaux arguments pour et contre cette figure centrale de l'histoire française :
- Bâtisseur de l'Etat moderne -
Le principal héritage de Napoléon est « la création et le développement d'un Etat moderne, puissant, centralisé (...), capable de générer un ensemble de règles et de les appliquer efficacement de manière uniforme sur tout le territoire national », estime le politologue Gérard Grunberg (« Napoléon Bonaparte - Le noir génie »).
Bonaparte n'est pas l'inventeur des départements, instaurés sous la Révolution, mais des préfets créés en 1800. A son apogée en 1811, l'Empire comptait 130 départements après annexions de territoires voisins.
- Père du code civil -
Autre héritage incontournable de Napoléon Bonaparte, le code civil, promulgué en 1804, met en œuvre l'égalité de tous devant la loi et s'appuie sur deux piliers : la propriété et la famille.
Le code civil a permis de « consacrer les conquêtes de la Révolution : l'égalité, la fin des droits féodaux », souligne l'historien Jean Tulard (« Dictionnaire amoureux de Napoléon »).
- « Misogyne » -
Napoléon est un « grand misogyne », selon Elisabeth Moreno, ministre chargée de l'Egalité femmes-hommes sous le gouvernement de Jean Castex (2020-22).
Le code civil a consacré en effet la domination du père de famille sur la femme et les enfants.
L'article 213 du code civil de 1804 stipule : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». L'article 324 du code pénal de 1810 « excuse » le meurtre par le mari d'une femme adultère en cas de « flagrant délit dans la maison conjugale ».

Napoléon « a fait une place aux femmes qui n'est pas formidable », selon l'historien Patrice Gueniffey. Mais c'est aussi le reflet de « la société paysanne et patriarcale » de l'époque.
- « Fossoyeur » de la République -
« La République ne peut pas rendre un hommage officiel à celui qui en a été le fossoyeur en mettant fin à la première expérience républicaine de notre histoire pour créer un régime autoritaire », s'indignait en 2021 le député Alexis Corbière (La France Insoumise).
En novembre 1799, le général Bonaparte accède au pouvoir par un coup d'Etat, le « 18 Brumaire », qui met fin au Directoire et ouvre la période du Consulat. Il devient consul à vie en mai 1802 puis « empereur des Français » en 1804 à la proclamation de l'Empire.
« A vrai dire, ce coup d'Etat sauvait les conquêtes de la Révolution: l'égalité, l'abolition des droits féodaux, la vente des biens nationaux », défend Jean Tulard.
L'empereur gouverne de manière autoritaire mais en utilisant le plébiscite. Lorsque Napoléon devient empereur en 1804, un référendum est organisé sur la question de l'hérédité de la lignée impériale, remporté haut la main par 3,57 millions de voix pour et seulement 2.569 contre.
- « Ancêtre des dictateurs ? " -
« Napoléon est-il l'ancêtre des dictateurs du XXe siècle ? », s'interroge Jean Tulard. « Son autoritarisme (...), son sens d'un Etat fort, son mépris du régime parlementaire, son impérialisme et surtout son génie de la propagande; tout peut y faire penser ».
Mais « il n'y a chez Napoléon ni l'idéologie meurtrière, ni le délire raciste de ceux que l'on présente comme ses successeurs », comme Hitler ou Staline, tranche l'historien.
- Celui qui a rétabli l'esclavage -
L'esclavage a été aboli dans les colonies françaises en 1794 sous la Révolution. Mais sous le Consulat, la loi du 20 mai 1802 le rétablit à l'occasion de la restitution par l'Angleterre de la Martinique où l'esclavage n'avait jamais été aboli.
« C'est le document le plus à charge contre la mémoire de Napoléon », reconnaît Jean Tulard. Pour l'historien, Napoléon a agi par calcul économique à une époque où l'esclavage sévissait partout.