Mexico 1968 : le poing levé d'un sprinter noir américain

Par Astolfo CAGNACCI
Le 16 octobre 1968, Tommie Smith et John Carlos, deux athlètes noirs américains, lèvent le poing sur le podium pour manifester leur solidarité avec les Noirs américains en pleine lutte pour la reconnaissance de leurs droits. Ce geste va durablement marquer le monde du sport.
Voici un portrait de Tommie Smith diffusé le 2 août 2016 par l'AFP.
La carrière sportive du Noir américain Tommie Smith se fige, le 16 octobre 1968 au soir, sur la photo du podium du 200 m des Jeux de Mexico, tête baissée et poing droit ganté de noir levé vers le ciel.
Le sublime vainqueur vient, le premier, de franchir la barrière des 20 secondes (19 sec 83) sur le demi-tour de piste (200 m), levant les bras au ciel en signe de victoire à 20 m de l'arrivée.
Septième d'une famille de onze enfants, dont le père cueillait le coton, Tommie Smith distillait de l'or avec sa longue foulée capable de s'envoler en fin de course. Sur 200 m mais aussi sur 400 m, la distance qui instille le poison de l'acide lactique dans la dernière ligne droite.
Mais c'est un autre poison que le Texan entend dénoncer pendant que résonnent les notes de l'hymne américain : les conditions de vie de la communauté noire aux Etats-Unis.
Le pasteur Martin Luther King, apôtre de la non-violence, a été assassiné quelques mois auparavant et un mouvement pour les droits civiques, « Olympic project for human rights » (OPHR), avait invité les athlètes de couleur à boycotter les JO mexicains.
Smith, né le 6 juin 1944, se rappelle qu'en 1966 il enchaînait des records du monde métriques et en yards, mais pouvait aussi, en privé, chanter a capella « Nobody knows the trouble I've seen », negro spiritual d'anthologie.

S'il n'est pas extrémiste, « Tommie Jet » est néanmoins pétri de conviction et d'engagement. Et la tribune est toute trouvée avec la cérémonie de remise des médailles du 200 m.
Lorsque que résonnent les premières notes de l'hymne américain, Tommie Smith lève son poing ganté de noir et baisse la tête.
Et c'est là que l'histoire, en se focalisant sur Smith, a été longtemps réductrice. A ses côtés, John Carlos (médaille de bronze), autre Noir américain et partenaire d'entraînement de Smith à l'Université d'Etat de San José (Californie), et l'Australien blanc et blond Peter Norman, médaillé d'argent, partagent les mêmes opinions.
- Norman, paria -
L'objectif s'élargit alors : de particulière, la photo, une des plus emblématiques du XXe siècle, devient cliché d'une famille partageant les mêmes idéaux. Carlos, né à Harlem d'un père cordonnier, a le poing gauche levé et ganté de noir. Norman, fils de boucher et proche de l'Armée du Salut, se tient droit et solennel. Comme ses compagnons de podium, le sprinter arbore le badge de l'OPHR et il a posé à ses côtés ses chaussures, en signe de pauvreté.
Tout est profusion de symboles dans ce tableau, même le collier de petites pierres que Carlos s'est mis autour du cou, en hommage aux Noirs lynchés.
Les trois hommes paieront cher ce geste de solidarité, la suspension des deux Américains de l'équipe américaine et leur exclusion à vie des JO n'étant pas les pires épreuves dans la longue série des mesures de rétorsion.
Norman, qui ne regretta jamais son action, devient un paria dans son propre pays. Il n'est pas retenu pour les JO de Munich, en 1972, alors qu'il a réalisé plusieurs fois les chronos requis. On l'oublie en 2000 lors des cérémonies des JO de Sydney.
Smith et Carlos finissent par renouer avec l'athlétisme, notamment comme entraîneurs. Norman, lui, est emporté le 3 octobre 2006 par une crise cardiaque. Smith et Carlos font le long voyage à Melbourne pour porter sur leurs épaules le cercueil de leur ami de 38 ans. Tous trois sont nés en juin, le mois de l'espérance, +le Summertime+ de Porgy and Bess.