Mikhaïl Gorbatchev : le père de la Perestroïka dévoré par son propre enfant

 

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Le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev lit sa déclaration de démission peu de temps avant d'apparaître à la télévision à Moscou, le 25 décembre 1991. - Vitaly Armand - AFP
Le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev lit sa déclaration de démission peu de temps avant d'apparaître à la télévision à Moscou, le 25 décembre 1991. Vitaly Armand - AFP

Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev annonce sa démission, après des mois de délabrement économique et un putsch manqué, mettant un point final à 70 ans d'empire communiste.

A la veille de cette annonce officielle, la journaliste de l'AFP Paola MESSANA dresse le portrait contrasté du père de la Perestroïka, cette politique de démocratisation et de réforme qui fit la gloire du prix Nobel de la paix en Occident, mais qui forgea aussi son image de fossoyeur involontaire de l'URSS, blâmé par son peuple.

MOSCOU, 24 déc 1991 - Mikhaïl Gorbatchev, dont la démission de la présidence de l'Union soviétique est attendue d'ici à mercredi soir, aura été dévoré par son propre enfant, cette Perestroïka qui a bouleversé la fin du 20ème siècle et qui a fini par échapper à son contrôle.

Son départ coïncide avec la chute finale de "l'empire soviétique", scellée à Minsk (Belarus) le 8 décembre lors de la création par les trois républiques slaves d'une nouvelle "Communauté d'Etats indépendants" - CEI, et confirmée le week-end dernier à Alma Ata par les dirigeants de 11 républiques de l'"ancienne URSS".

Déjà, depuis que les présidents russe, ukrainien et bélarusse avaient déclaré à Minsk que l'URSS n'existait plus comme sujet de droit international, le président soviétique était privé de facto de tout pouvoir.

A 60 ans, après six ans et neuf mois de Perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev a succombé à une évolution qu'il a déclenchée sans toujours en vouloir toutes les conséquences. Politicien formé dans le giron du Parti communiste d'Union Soviétique, il n'en a abandonné qu'à contre-coeur les commandes après le constat de trahison de ses anciens camarades lors du putsch manqué d'août 1991.

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Mikhaïl Gorbatchev (c), secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), et plusieurs membres du Presidium du Congrès du PCUS, le 25 février 1986 à l'ouverture du congrès du parti au Kremlin. - TASS - AFP
Mikhaïl Gorbatchev (c), secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS), et plusieurs membres du Presidium du Congrès du PCUS, le 25 février 1986 à l'ouverture du congrès du parti au Kremlin - AFP

Lors de son accession au pouvoir au printemps 1985, Gorbatchev pensait la Perestroïka (reconstruction, en russe) en termes de réaménagement du système soviétique devant donner un second souffle à la super-puissance socialiste, économiquement épuisée, enlisée en Afghanistan et incapable de poursuivre plus loin la course effrénée aux armements.

Mais s'il n'avait pas prévu les bouleversements qui allaient s'accélérer durant un quasi septennat de pouvoir, il aura indéniablement eu l'intelligence de tout faire pour accepter l'inéluctable et éviter le bain de sang, tout en ménageant le gigantesque "marais" communiste.

Le tout au prix de tergiversations qui ont sans doute sauvé plus d'une fois le pays de la guerre civile, mais ont fait de lui en URSS un ennemi juré pour tout le monde.

- Une place dans l'Histoire -

Outre les erreurs commises dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la réforme économique, l'échec de Mikhaïl Gorbatchev repose en grande partie dans la faillite de sa politique nationale.

Les centaines de milliers de réfugiés russes, arméniens, azerbaïdjanais ou turcs n'oublient pas que Moscou a abandonné les Arméniens à leur sort à Soumgait (Azerbaïdjan) en 1988, lancé ses forces spéciales sur quelques manifestants à Tbilissi (Géorgie) en 1989, envoyé les chars à Bakou (Azerbaïdjan) en 1990 et à Vilnius (Lituanie) en 1991, toujours à contre-temps, discréditant son "pouvoir présidentiel".

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Mikhail Gorbachev prononce son discours d'acceptation du prix Nobel de la paix à l'hôtel de ville d'Oslo le 5 juin 1991. - Olav Olsen - AFP
Mikhail Gorbachev prononce son discours d'acceptation du prix Nobel de la paix à l'hôtel de ville d'Oslo le 5 juin 1991. Olav Olsen - AFP

Son règne a pourtant vu la victoire des "forces démocratiques" et du "libéralisme économique", la montée des nationalismes et enfin, après l'échec d'un coup d'Etat conservateur, l'indépendance des pays baltes et l'éclatement de l'Union en une multitude d'Etats.

L'ambitieux Boris Eltsine, président de la Russie, a su profiter des erreurs de Mikhaïl Gorbatchev, fils d'un paysan de Stavropol (sud de la Russie), né le 2 mars 1931, quelques semaines après le "tsar Boris".

Gorbatchev, Prix Nobel de la Paix en 1990, a malgré tout d'ores et déjà sa place dans l'Histoire. Le père de la "nouvelle pensée" reste le maître d'oeuvre du désarmement, de la libération des pays de l'Est et de la réunification allemande.

Extraordinairement populaire à l'étranger, Mikhaïl Gorbatchev -- et son épouse Raïssa -- était devenu ces dernières années très impopulaire dans son pays, même si le moindre de ses discours suscitait un intérêt mondial.

L'échec du putsch, en accélérant le processus de démantèlement de l'ancien régime, lui a porté un coup fatal. Après l'avoir "sauvé", Eltsine a grignoté en trois mois toutes les compétences et les prérogatives fédérales.

A son grand désespoir, Gorbatchev a dû faire face à l'interdiction et la disparition pure et simple du Parti.

Il est allé depuis de défaites en humiliations. Il a d'abord été contraint d'abandonner son poste de Secrétaire général du PCUS et d'assister impuissant à la foudroyante débâcle communiste.

Il a dû ensuite reconnaître l'indépendance des pays baltes, puis assister en simple spectateur à la faillite du Traité de l'Union, ce projet de renouvellement "mi-fédération mi-confédération" de l'Union soviétique dont il avait fait son fer de lance.

Mais il a voulu conserver malgré tout un rôle, voyant au fil des jours la Russie pousser un peu plus loin ses pions et aller jusqu'à lui retirer le Kremlin, en lui accordant pour quelques jours encore le titre de président.

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Amer et honni dans son pays, Mikhaïl Gorbatchev fête ses 80 ans - AFP