Picasso à Vauvenargues, 12 ans après

 

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Vue du château de Vauvenargues prise le 19 mai 2009 Gerard Julien - AFP
Vue du château de Vauvenargues prise le 19 mai 2009. Gerard Julien - AFP

Par Pierre COSTE

Dépêche publiée par l'AFP le 10 avril 1973 et signée Pierre Coste, lors de l'enterrement de Picasso.

VAUVENARGUES (Bouches-du-Rhône), 10 avril (AFP) - Ce matin du 10 avril a les couleurs de Guernica : blanc, gris, noir, ocre. C'est la neige, tombée toute la nuit - une neige exceptionnelle si tard dans le printemps - qui a bouleversé le paysage.

Le versant nord de la Sainte-Victoire - ce grand versant austère, vert sombre et bleu, que Cézanne n'a pas peint mais que son génie cependant habite - a disparu derrière les nuages. Le vallon frais lui aussi est recouvert par la neige. Le soleil qui, le matin ou le soir, prend ce vallon en enfilage, et exalte les murs ocre du château dressé en son milieu, est absent.

C'est dans un glissement humide, à peine audible, que le fourgon apportant le corps de Picasso, les limousines blanches de son épouse, de ses familiers, sont arrivés dans la vallée, peu après 10 h 00, ont emprunté l'isthme qui relie le village, accroché au versant du plateau, à la butte du château, et se sont arrêtés au pied du grand escalier de pierre.

C'est au pied de ce même escalier et sur la grande terrasse qui le prolonge qu'il y a douze ans, Picasso plantait ses statues.

« Pourquoi est-il venu chez nous deux années ? Pourquoi a-t-il disparu ? Pourquoi maintenant revient-il pour sa dernière demeure ? » : les habitants de Vauvenargues, s'ils se sentent brusquement très honorés, ne comprennent pas pour autant. Et d'ailleurs qui aujourd'hui pourrait expliquer ? Le choix appartient-il à sa famille désireuse de fuir la publicité et le tapage ? Appartient-il au contraire à Picasso ?

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Pablo Picasso et sa femme Jacqueline (non datée) Ralph Gatti - AFP
Pablo Picasso et sa femme Jacqueline (non datée). Ralph Gatti - AFP

Durant leur séjour d'il y a douze ans, a-t-il dit à Jacqueline, admirant depuis les grandes fenêtres, l'horizon bleuté et le pan de montagne sauvage dont il était le maître, qu'à défaut du versant de la « Sierra madre » (chaîne de montagnes du Mexique), c'était là, au pied de cette Sainte-Victoire, de cette autre montagne mère, qu'il voulait reposer.

Avant lui, cette montagne avait été la mère de bien des génies, le signal de bien des Provençaux, depuis ses crêtes, les éclaireurs du général Marius avaient observé l'avance des Teutons et des Ambrons (102 ans avant JC).

Au pied de ses versants ouest et sud, Cézanne avait peint et repeint, indéfiniment, son architecture changeante. Sur la terrasse de ce château, le jeune Luc de Vauvenargues avait mûri ses réflexions.

L'achat du château en 1958 se situa à la fin de la période de Cannes. La « Californie » (nom de la maison de Cannes) était pressée de toutes parts par les immeubles. Picasso, au sommet de sa gloire, était aussi de plus en plus solitaire, de plus en plus occupé à sa seule création. A Vauvenargues, il trouve sinon des paysages - il ne travaille pas sur le motif - du moins une atmosphère plus propice et en tous cas différente de celle de la côte.

Il trouve aussi de très grands locaux dans lesquels il peut faire venir une partie des toiles entassées dans son appartement parisien et qu'il n'a pas vues pour certaines depuis des décennies.

L'intérêt pour Vauvenargues n'a d'ailleurs duré qu'un temps. Picasso retourne bientôt vers la mer, à Mougins, son dernier atelier. Mais les séjours à Vauvenargues, de 1959 à 1961, ont été féconds : une série du thème, relativement nouveau, du « déjeuner sur l'herbe », des « Jacqueline » (il l'a épousée en 1958) en rouge et noir, un renouveau de l'inspiration espagnole déjà amorcé à Cannes et peut-être stimulé par cette nature austère et desséchée.

Mais maintenant que va-t-il advenir de Vauvenargues ? Picasso, s'il a voulu cette sépulture, a-t-il eu sur le château ce seul projet ? Les salles sont grandes, le parc plein d'imprévu, le paysage autour exaltant.

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Picasso le 28 juillet 1958 lors d'une exposition de céramiques à Vallauris - AFP
Picasso le 28 juillet 1958 lors d'une exposition de céramiques à Vallauris - AFP 

Le château appartient dorénavant aux descendants de Jacqueline. Il a été ouvert pour la première fois au public durant l'été 2009. On y découvre l'épure des pièces que Picasso a laissées à l'état brut pendant les années où il y vécut, n'installant qu'un chauffage central et une salle de bain. En avril 1959, il y fit venir ses bronzes, ses peintures et celles de ses maîtres pour en faire un lieu tout entier dédié à la création.

Picasso le 28 juillet 1958 lors d'une exposition de céramiques à Vallauris
Picasso le 28 juillet 1958 lors d'une exposition de céramiques à Vallauris AFP - INTERCONTINENTALE/afp.com
A côté, la chambre de Picasso frappe par sa simplicité spartiate, comme si la décoration ne l'intéressait pas. Seule, la tête de lit aux couleurs de la Catalogne (lignes jaunes et rouges) attire l’œil, rappelant que c'est pour fuir le franquisme que Picasso quitta sa terre natale. Puis vient la salle de bain et sa fresque murale peinte « pour accompagner les bains de Jacqueline ». Mais c'est dans l'atelier que l'empreinte du peintre est la plus intemporelle : au milieu des pots de peinture encore ouverts sont posés deux chaises peintes par l'artiste et le chevalet avec, au pied, une ribambelle de petites taches de peinture.